L’édito de Fabrice Grosfilley : les fausses pistes du budget
Fabrice Grosfilley revient sur la préparation du budget annuel pour tous les niveaux de pouvoir.
En journalisme, c’est ce qu’on appelle un marronnier : un sujet qui revient chaque année, comme chaque année tombent les feuilles des arbres en automne. En septembre, il y a d’abord la rentrée des classes, le prix des fournitures, le poids des cartables, puis la rentrée universitaire, les baptêmes et le folklore estudiantin, et enfin la rentrée du monde politique.
Pour les gouvernements, le gros morceau de l’automne c’est la préparation du budget pour l’année suivante. Une sorte de rituel par lequel nous repassons tous les 12 mois. Tous les niveaux de pouvoir sont donc en train de préparer leur budget 2025. Les ministres bruxellois plancheront sur la question demain, il faut trouver près de 600 millions d’euros pour atteindre l’équilibre. A la Fédération Wallonie-Bruxelles, le conclave a débuté hier soir. Au gouvernement fédéral, les premiers travaux ont commencé le weekend dernier, ils vont encore se poursuivre quelques jours. Avec, déjà, un débat sur les chiffres : pour l’aile gauche de l’équipe Vivaldi, il faut trouver 830 millions, pour l’aile droite c’est 1,2 milliard. On ne vise pas le même point d’équilibre.
Établir le budget pour 2025 est évidement un travail important. Cela engagera l’action politique pour l’année prochaine. C’est un exercice encore plus délicat qu’à l’accoutumée puisqu’on approche des élections et qu’il convient de se présenter sur le meilleur jour possible aux électeurs qui se prononceront au mois de juin. Et puis, surtout, parce qu’après la Covid 19 et la guerre en Ukraine, les pouvoirs publics n’ont plus réellement d’autres choix que de se serrer la ceinture. Les caisses sont vides, l’endettement est considéré par beaucoup comme étant à son maximum alors que les besoins sont plus criants que jamais.
Nous traversons une addition de crises : le coût de l’énergie qui pèse encore sur le pouvoir d’achat de nombreux ménages, le coût de l’alimentation, mais aussi la facture en terme de santé (les problèmes de de santé mentale sont devenus une réalité pour beaucoup de familles), la pénurie de personnel dans les hôpitaux, les besoins en terme de sécurité (à la gare du Midi et ailleurs), la justice, la crise de l’accueil qui demande qu’on crée des places pour les demandeurs d’asile comme pour les autres personnes sans hébergement fixe, les investissements nécessaires dans la transition énergétique, dans les transports, dans l’éducation… Bref les factures explosent de partout alors que dans le même temps, les recettes ne progressent pas (ou peu).
Dans les régions, où les leviers fiscaux ne sont pas légions, pas tellement le choix : il faut plutôt travailler sur les dépenses. C’est ce que s’apprête à faire le gouvernement bruxellois, où le ministre du budget Sven Gatz exige désormais que toutes les administrations réduisent leur budget de 5%. Les grosses décision (celles qui concernent la fiscalité automobile ou le financement des travaux du métro) seront pour l’après élection. C’est le budget 2026 et ceux qui suivront qui devront arbitrer ces points cruciaux.
Au fédéral, c’est différent. Entre l’IPP (impôt des personnes physiques), l’ISOC (impôt des sociétés), les taxes, les accises, la TVA, ce niveau de pouvoir a énormément d’outils à sa disposition pour jouer sur les recettes. A chaque conclave budgétaire, les partis politiques mettent donc de nouvelles idées sur la table. Ce matin dans les journaux, on parle beaucoup d’une taxation des billets d’avion (c’est la une de La Libre). Depuis l’an dernier, il existe une “petite taxe” (10 euros) sur les vols de courte distance. On pourrait aller plus loin, estime les écologistes flamands de Groen avec une proposition de taxations de 500 euros par billet pour les jets privés et les premières classes, et ensuite un tarif dégressif avec une taxe de 50 euros pour les vols en classe économique.
On parle aussi de mieux taxer le secteur bancaire, en en imposant une taxe sur les surprofits des grandes banques, ou remontant la taxe sur les comptes titres (ça concerne les propriétaires d’un portefeuille d’actions). On pourrait aussi relever les accises sur le diesel professionnel, qui est moins taxé que celui des particuliers, ou imposer une cotisation sur les emballages jetables des fast-food.
Je rassure tout le monde. Quand vient l’automne, les feuilles des marronniers volent dans tous les sens. La plupart finissent au sol et se décomposeront d’elles-mêmes. C’est ce qui se passera avec la plupart de ces propositions fiscales. Quand une idée de taxe se retrouve dans la presse, c’est surtout pour faire en sorte qu’elle ne voit pas le jour. Une fuite orientée dans le but de torpiller l’une ou l’autre idée à laquelle on souhaite s’opposer, et dessiner au passage l’image d’un adversaire politique atteint de fièvre taxatoire. Un classique de la relation qu’entretiennent journalistes et décideurs politiques. L’exercice de la négociation budgétaire ressemble à un entonnoir : au début tout est sur la table, tant au niveau des recettes imaginables que des pistes d’économies, et puis on élague.
On gardera quelques taxes bien sûr, et on fera aussi quelques économies. Les ministres du Budget, les ministres-présidents ou le Premier ministre, ceux qui sont chargés de faire les arbitrages finaux, gardent leur meilleur cartouche pour la dernière ligne droite. En automne, les marronniers perdent leurs feuilles. Les bonnes feuilles du budget ne tombent pas à la première bourrasque. Il faudra donc attendre quelques semaines avant de les découvrir.
Fabrice Grosfilley