L’édito de Fabrice Grosfilley : le gouvernement face à la rue

La rue peut-elle faire plier un gouvernement ?

Une manifestation est-elle à prendre en compte lorsqu’on prépare un budget ou un projet de loi ?

Ces questions méritent d’être débattue ce matin, après le succès incontestable de la manifestation organisée par le front commun hier.
80 000 manifestants d’après la police, 140 000 d’après les syndicats — disons un peu plus de 100 000 participants pour ne fâcher personne.

Qu’est-ce que cela pèse, 100 000 personnes ? Pas grand-chose, d’après le chef de groupe N-VA à la Chambre,  Axel Ronse, qui déclarait hier au Parlement que son parti avait entendu un autre signal :
« Celui envoyé par cinq millions de personnes… des enseignants, des ouvriers, des indépendants… tous ces gens qui étaient au travail et qui nous disent : de grâce, continuez… Je sollicite un applaudissement pour ces cinq millions de personnes. »

La N-VA et le MR ont donc applaudi. Message adressé aux manifestants : circulez, il n’y a rien à négocier.
On notera d’ailleurs que les dirigeants des centrales syndicales n’ont pas été reçus par le Premier ministre ni par le ministre de l’Emploi, comme on le fait parfois à l’occasion de ce genre de manifestation.
Il n’y a donc pas eu ce moment symbolique où une délégation déposerait formellement auprès des autorités les revendications de ceux qui étaient dans la rue.

N’en déplaise à la majorité, 100 000 personnes dans les rues, ce n’est pas rien. Surtout si la mobilisation se poursuit, ce qui semble être le cas.
Un mouvement de grève dans les services publics est déjà annoncé pour la fin novembre, et il n’est pas exclu qu’il y ait d’autres actions.

Face aux manifestants, on peut donc — si l’on suit le raisonnement d’Axel Ronse — opposer la majorité silencieuse :
celle qui ne s’exprime pas, qui ne descend pas dans la rue, qui ne fait pas grève, mais qui, en revanche, donne un mandat au monde politique par l’intermédiaire de son bulletin de vote.

Cette partie du raisonnement est valable.
Dans une démocratie représentative, ce n’est pas la rue qui gouverne : c’est le Parlement, qui représente la nation et ses aspirations.
Le gouvernement Arizona dispose bien à la Chambre d’une majorité pour le soutenir.
On ne peut pas dire qu’il gouverne contre le peuple, et quand on le dit, c’est une déclaration qui n’est pas anodine, puisqu’elle revient à remettre en cause le principe même de la démocratie parlementaire.

La limite du raisonnement, c’est qu’un bulletin de vote tous les cinq ans, c’est certes une délégation de pouvoir, mais ce n’est pas un chèque en blanc ni un abandon de citoyenneté.
Entre deux élections, les citoyens, dans une démocratie, ont le droit de s’exprimer.
C’est d’autant plus vrai que toutes les réformes ou décisions budgétaires prises par le gouvernement Arizona n’étaient pas toujours clairement connues des électeurs en 2024.

On peut très bien avoir voté pour la N-VA, le CD&V, Vooruit, le MR ou Les Engagés il y a un an, et demain encore juger positivement leur action sur un certain nombre de points — tout en étant en désaccord sur le malus pension ou sur le travail de nuit.
On peut approuver l’action du gouvernement sur certains chapitres et pas sur d’autres.

Ne pas vouloir tenir compte de l’opinion publique lorsqu’elle manifeste son mécontentement, ne pas vouloir dialoguer avec ses électeurs, ce serait une forme de confiscation du pouvoir.
La démocratie, cela nécessite des allers-retours entre les citoyens et les élus.
Pour cela, il faut donc que les députés soient à l’écoute de leurs électeurs, pas seulement de leur président de parti.

Alors, sont-elles utiles ces manifestations ?
Sont-elles autre chose qu’un moment où s’exprime, où s’évacue une colère, une frustration, sans que cela ne permette réellement d’avoir un impact sur le cours des choses ?

La réponse est mitigée.
Clairement, ce ne sont pas les manifestations qui font le budget ou la législation.
L’influence des manifestants est donc nécessairement limitée, à plus forte raison lorsqu’une majorité est déterminée et soudée autour d’un projet qui semble bénéficier d’une forte adhésion de ses électeurs.

En Belgique, avec notre système de vote à la proportionnelle, les choses pourraient être un peu plus subtiles.
Dans une coalition gouvernementale où l’on trouve, c’est vrai, des partis de droite fermes sur leurs convictions, mais aussi des partis plus au centre, voire au centre gauche comme Vooruit, la possibilité de se faire entendre par une partie de la majorité n’est pas tout à fait à exclure.

Les syndicats ne s’y trompent pas.
Ils ne vont pas convaincre Bart De Wever ou Georges-Louis Bouchez.
Ils peuvent en revanche faire pression sur Vooruit, sur le CD&V et sur Les Engagés.
Ce sont ces partis-là qui sont aujourd’hui en mesure de faire le lien entre ceux qui sont dans la rue et ceux qui sont au gouvernement.
C’est à eux qu’il reviendra de corriger, d’amender, d’adoucir ou de reporter telle ou telle mesure.

Et on ne peut pas dire que cela n’arrive jamais. Même en France, où le pouvoir est particulièrement centralisé.
Les manifestations contre la réforme des retraites n’avaient pas fait reculer Emmanuel Macron.
Mais, face à un Parlement morcelé et une sorte de situation parlementaire à la belge, qui oblige à partager le pouvoir, les manifestants — relayés par le Parti socialiste, qui avait fait du report de la réforme la condition de son soutien — ont fini par obtenir gain de cause.

Il n’est pas exclu qu’un scénario semblable puisse voir le jour en Belgique aussi.

Fabrice Grosfilley 

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