L’édito de Fabrice Grosfilley : le foulard, du tribunal à la campagne électorale

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

La question du foulard est donc de nouveau à la une. Elle revient même dans notre actualité par plusieurs cotés à la fois. D’abord un arrêt de la cour de justice de l’Union Européenne, prononcé hier matin. Un arrêt qui précise que l’interdiction du port de signes convictionnels dans une administration communale n’est pas discriminatoire.

Les juges avait été appelés à se prononcer après avoir été saisie par le tribunal du travail de Liège. C’est la suite d’un conflit entre une travailleuse et la commune d’Ans, en région liégeoise,  qui lui interdisait de porter le foulard. Le tribunal du travail a donc sagement posé une questions préjudicielle, et l’arrêt de la cour donne donc (en partie)  raison à la commune :  un pouvoir public a bien le droit d’interdire le port des signes convictionnels à l’ensemble de son personnel.” Une telle règle n’est pas discriminatoire si elle est appliquée de façon générale et indifférenciée à l’ensemble du personnel et se limite au strict nécessaire” écrivent les juges.

Attention quand même à l’interprétation de cette décision de justice : la cour européenne indique que ce n’est pas discriminatoire, donc qu’on peut prendre cette décision d’interdiction. Mais elle indique aussi que l’inverse est possible, on peut donc aussi autoriser le port de signes distinctifs. Pas discriminatoire ne signifie pas obligatoire. Et la portée du raisonnement vaut pour les communes mais aussi pour tous les services publics d’une manière générale. Il appartient donc aux États européens de légiférer. En d’autres termes, ce que disent les juges est qu’on peut interdire ou autoriser le port de ces signes distinctifs, du moment que la législation soit claire et les décisions cohérentes. Neutralité exclusive ou neutralité inclusive, la cour européenne ne tranche pas, c’est à chaque État de définir sa politique. Petite subtilité en Belgique, l’État fédéral n’a pas réellement tranché et la tutelle sur les communes dépend désormais des régions. On pourrait donc très bien, en l’état actuel de la législation, avoir des règles différentes entre Bruxelles et le reste du pays, et même une politique qui diffère d’une commune à l’autre.

Autre fait d’actualité qui ramène ce débat à la une : le dépôt d’une motion au conseil communal d’Anderlecht annoncé par la Libre Belgique. Une motion qui autoriserait le port du foulard pour le personnel de l’administration communale, sans restriction. Elle est déposé par le parti Ecolo et défendu par la nouvelle cheffe de file écologiste dans cette commune, Nadia Kammachi. Cette motion se veut la suite logique des conclusions d’un groupe de travail, mis en place par la commune et auquel avaient participé des représentants du personnel communal, qui recommandaient cette autorisation. Ce groupe de travail était l’un des éléments d’un plan diversité : pour les partisans de l’autorisation, il s’agit  de mettre en place une administration inclusive et ouverte à la diversité de la population locale. Il faut ajouter que la pression sur les élus est forte, avec des pétitions et des interpellations au conseil communal qui vont dans le sens de cette politique inclusive, où l’on estime que ce qui compte est la neutralité des services rendus à la population, pas la manière dont les agents communaux sont vêtus. On notera d’ailleurs que de grandes villes flamandes comme Gand ou Malines pratiquent cette neutralité inclusive, et que cela n’a pas posé de problème à leurs administrés et qu’en Flandre (qu’on décrit pourtant  souvent comme politiquement plus conservatrice), cela ne fait plus réellement débat.

Évidement, venir avec ce sujet à 7 mois d’élections régionales et législatives et à moins d’un an des élections communales ce n’est pas sans risque. Dans la majorité anderlechtoise, les Engagés et Défi ne sont pas sur la même longueur d’onde qu’Ecolo. Et il y a aussi, et surtout, le PS, dont certains membres seraient prêts à voter cette motion, mais que d’autres préféreraient repousser. Prudemment, le bourgmestre Fabrice Cumps rappelait ce matin la position officielle du parti : oui au port des signes distinctifs mais pas pour les fonctions en contact avec le public… une position plus restrictive que celle d’Ecolo, avec cet ajout : “Il nous reste 48 heures pour trouver un consensus”. Avec le risque d’être dépassé sur sa gauche par le PTB qui ne s’embarrasse pas d’une prudence excessive sur ce dossier.

Vous l’avez compris : on va donc se chamailler sur ce sujet dans les heures et les jours à venir. On notera que le sujet revient sur la table par l’intermédiaire d’Ecolo, ce qui lui sera probablement reproché. On rappellera aussi que ce qui se dit sur les réseaux sociaux (ou certains communiqués de presse) n’est pas la vraie vie. Et qu’on ne doit pas oublier qu’on ne parle pas “que” du foulard, on parle aussi et surtout des femmes qui le portent, et qu’on écoute assez rarement. Que la liberté de commenter et de débattre de ces questions sensibles ne doit pas impliquer qu’on manque de respect à la dignité des personnes. Soyons nuancés, écoutons les arguments, réfléchissons avant de vociférer. Mais oui ce débat est de retour, et tant que le politique ne le tranchera pas, il continuera de nous agiter, peut-être pour des années encore. En attendant, il va y avoir du vent dans les voiles. Et il n’est pas exclu qu’en période de campagne, ce vent souffle de plus en plus fort.