L’édito de Fabrice Grosfilley : l’accélérateur du budget
Dans son édito de ce mercredi 19 juin, Fabrice Grosfilley revient sur la problématique des budgets belges.
Et si c’était le budget qui décidait du timing des négociations politiques ? La nécessité de combler le trou obligerait-elle les partis politiques à trouver un accord qu’ils n’ont pas forcément envie ou intérêt à endosser ? On peut se poser ces questions ce matin en mettant en perspective une série d’informations qui nous arrivent et qui, mises bout à bout, finissent par créer un climat d’urgence autour de la question budgétaire.
Commençons peut-être par le fédéral. C’est le journal L’Écho qui le souligne ce matin. La Commission européenne devait annoncer aujourd’hui qu’une série d’États européens sont désormais sortis des règles budgétaires. La Belgique, avec un déficit de 4,4 % de son produit intérieur brut, en fera forcément partie (la règle est de ne pas dépasser les 3 %). Nous ne serons pas les seuls. La France et l’Italie sont dans une situation comparable, mais il est fini le temps des petits arrangements et des exceptions liés à la période de la COVID-19. C’est donc une procédure de déficit excessif qui menace l’État belge. En d’autres termes, si la procédure est bien confirmée par la Commission, il faudra que l’État belge s’engage à présenter un plan d’assainissement. Ce plan, qui devra porter sur une période de quatre ans et qui devra permettre d’améliorer le solde budgétaire de 0,5% chaque année, sera à remettre pour le 20 septembre.
Le 20 septembre est justement une date très compliquée pour la Belgique. On sera à un peu moins d’un mois des élections communales (elles ont lieu le 13 octobre). Pas vraiment le moment où on annonce de mauvaises nouvelles aux citoyens. Il faudrait donc que ces décisions budgétaires soient prises avant. Dans l’idéal, qu’elles soient prises dans le cadre de la formation d’un nouveau gouvernement fédéral (c’est la logique). Le travail qui est en train d’être mené par Bart De Wever est donc en grande partie budgétaire. Du côté de la N-VA et du MR, pas de problème, on est prêt à endosser des économies et à se plier aux demandes de l’Europe. Du côté des Engagés, du CD&V et surtout de Vooruit, on est beaucoup plus mesurés. Il ne faudrait pas que ces économies se traduisent par une baisse de qualité dans les services publics, notamment dans la santé, ni par un appauvrissement des citoyens. Il faudra donc probablement aussi imaginer travailler sur les recettes de l’État si on veut maintenir une couverture sociale de qualité ou garantir l’avenir des retraites. Bart De Wever devra donc dire s’il pense qu’il est possible d’aller assez vite dans toutes ces directions ou s’il perçoit d’ores et déjà des blocages significatifs. En clair, soit on a un gouvernement fédéral dans le courant de l’été et celui-ci s’engagera dans la voie de l’assainissement budgétaire, soit on risque de devoir attendre après les élections communales, et on risque de se faire réprimander par la Commission européenne.
La situation en Région bruxelloise n’est pas très différente de celle du fédéral. C’est d’ailleurs pour cela que David Leisterh, on en parlait hier, a décidé de commencer par mener des consultations sur la question budgétaire. Avec, là aussi, un enjeu crucial qui sera de réduire l’endettement de la Région. Là aussi, l’agenda n’est pas très favorable. Les élections communales au mois d’octobre compliquent le timing : on comprend facilement que les partis politiques ne soient pas très motivés à l’idée d’annoncer des économies juste avant des élections. Pour l’instant, David Leisterh n’a pas réellement de partenaires avec lesquels il pourrait négocier. Il peut discuter avec les Engagés, c’est très sympathique, mais ça ne fait pas une majorité. Si on attend l’après-communales pour négocier, ce ne sera pas impossible, mais le timing deviendra serré. Il faut impérativement que le budget soit voté pour la fin de l’année. Dans le cas contraire, on appliquera la solution des 12e provisoires. Ce qui veut dire qu’on prendra le budget de 2024 et qu’on l’appliquera mois par mois sans aucune correction possible à l’année 2025. C’est le cauchemar des administrations et des décideurs politiques qui se retrouvent alors cadenassés et dans l’impossibilité de mener des projets sur la durée.
C’est dans ce contexte que Sven Gatz a exigé des administrations bruxelloises qu’elles rentrent un budget affichant 10 % de dépenses en moins. Les copies ont été transmises hier. On signalera que cette demande de Sven Gatz, adressée par circulaire dans le courant du mois de mai, n’était pas passée par le gouvernement bruxellois. Ce n’est pas un problème légal, le ministre est dans ses compétences, mais c’est politiquement sensible. Cela indique à quel point le ministre du Budget ne comptait pas trop sur ses partenaires du gouvernement précédent pour faire des économies. On soulignera encore que ce travail linéaire, moins 10 % pour tout le monde, n’a d’intérêt que s’il est confirmé par un budget en bonne et due forme. Un budget donc préparé par un gouvernement et voté par le parlement. Sinon, comme au fédéral, ce sont les 12e provisoires qui s’appliqueront à la Région bruxelloise. On peut donc dire que la circulaire de Sven Gatz a surtout pour but de préparer le terrain, de sensibiliser tout le monde, y compris les directeurs d’administrations, à ce qui nous attend, ou pourrait nous attendre.
C’est sans doute comme cela qu’il faut lire la séquence que nous sommes en train de traverser. Les problèmes budgétaires sont une réalité, au fédéral comme à la Région bruxelloise (vous pouvez ajouter la Région wallonne et surtout la Fédération Wallonie-Bruxelles à la liste). Ils pourraient nous contraindre à des décisions extrêmement douloureuses, par exemple sur le métro 3. Mais leur mise à l’agenda médiatique participe aussi à une forme de storytelling qui a pour but de préparer l’opinion et de faire pression sur des partenaires récalcitrants. On peut jouer la montre et préférer ne rien faire avant les élections communales. Cela risque d’avoir des conséquences qui seront encore plus douloureuses pour le début de l’année prochaine. C’est donc du choc des agendas (l’agenda budgétaire et l’agenda électoral) que les formateurs aux manœuvres espèrent peut-être provoquer une étincelle.
Fabrice Grosfilley