L’édito de Fabrice Grosfilley : la police n’est pas la justice
Des peines de prison pour des policiers c’est une décision rare. Cela mérite donc qu’on s’y arrête un instant. Ce mardi, le tribunal de police de Bruxelles a condamné trois policiers à des peines de prison de 5 à 10 mois avec sursis partiel pour leur implication dans la mort de Sabrina et Ouassim. Sabrina El Bakkali et Ouassim Toumi, deux jeunes bruxellois d’une vingtaine d’années avaient été pris en chasse par la police en 2017 alors qu’ils circulaient à moto. La course poursuite s’était achevée lorsqu’ils avaient percuté une camionnette de police qui s’était mise en travers de l’avenue Louise à la sortie d’un tunnel pour leur barrer le passage.
Ce qui était reproché aux deux jeunes relevait d’infractions au code de la route. Ils circulaient à vive allure, n’avaient pas mis leur clignotant et ne portait pas les chaussures montantes réglementaires que les motards doivent avoir aux pieds. Depuis 2017, les familles de ces deux jeunes et leurs avocats estimaient que la course-poursuite était disproportionnée, et que les risques pris par les policiers étaient sans commune mesure avec la hauteur de l’infraction. Que les policiers avaient pu vérifier que la moto n’était pas un véhicule volé, qu’ils avaient donc l’identité du conducteur et qu’ils auraient très bien pu se présenter à son domicile le lendemain ou lui envoyer un PV. En clair, que la prise en chasse du véhicule ne s’imposait pas, que les policiers avaient surréagi, négligé la sécurité des deux jeunes, et accessoirement celle des autres automobilistes ou piétons qui auraient pu se trouver sur leur passage. Coté policer, on n’en démordait pas, la poursuite était légitime, et on avait sans doute en tête la conviction qu’un individu qui refuse de se soumettre à un contrôle est forcément quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher.
Le tribunal a donc donné raison aux parties civiles. « La probabilité d’intercepter le véhicule » était dans de telles conditions « quasiment inexistante », a indiqué la présidente du tribunal de police , en évoquant des choix « contre-productifs » et « dangereux ». Elle a aussi balayé d’un revers de la main l’affirmation de l’un des policiers qui affirmait à l’audience que Ouassim Touma était connu des services de police comme potentiellement dangereux. “Le dossier répressif ne contient pas un seul élément à ce sujet”, a glissé la présidente en pointant au passage des contradictions entre les prévenus sur ce sujet.
Si ce jugement est si important c’est parce qu’il contredit frontalement le réquisitoire du parquet qui réclamaient l’acquittement pour les trois policiers.Dans un premier temps il avait même été question qu’il n’y ait jamais de procès et que le dossier soit classé sans suite. Il a fallu que les familles de Sabrina et Ouassim se mobilisent pour obtenir justice. Et même si ces familles pouvaient regretter la relative faiblesse des peines de prions, la condamnation est loin d’être anodine. D’abord parce que des peines de prison, avec une partie de prison ferme, ce n’est pas si anodin (surtout quand le ministère de la Justice estime qu’il faut désormais les exécuter, aussi faibles soient-elles). Ensuite parce que la présidente du tribunal a pu démontrer hier qu’elle pouvait résister aux pression du monde policier. Si le parquet, qui travaille tous les jours avec des policiers, étaient enclin à ne leur reconnaitre aucune responsabilité dans la mort des deux jeunes, et faisait porter toute la responsabilité du drame sur la conduite de Ouassim, la présidente en a décidé autrement.
Ce jugement, particulièrement précis, est d’abord la démonstration de l’indépendance de la justice, de l’utilité d’avoir un magistrature debout, celle qui instruit et dresse des réquisitoires, et une magistrature assise qui a la responsabilité de juger de la culpabilité et d’établir la hauteur des peines. Pour tout ceux qui doutent de indépendance de la justice, le fameux slogan “police partout justice nulle part”, le jugement d’hier est une raison d’espérer. Dans toutes les affaires qui opposent des jeunes (ou moins jeunes) aux forces de police, il sera dans le futur d’une importance capitale. Non on ne peut pas, quand on est policer, utiliser la force de manière disproportionnée sans se soucier des conséquences. Oui, une vie humaine a plus de prix qu’une infraction au code de la route.
Dernière réflexion, mais elle est importante. Après la lecture de la décision de justice (on notera que les fonctionnaires incriminés n’étaient pas présents), les avocats des policiers ont fait part de leur souhait d’aller en appel. C’est évidement leur droit et c’est, de leur point de vue, légitime. On est en revanche plus inquiet d’une réaction du chef de corps de la police de la zone Bruxelles-Ixelles, Michael Govaert. Dans un communiqué (dont on suppose qu’il a posé chaque mot), celui-ci a précisé qu’il “réitérait sa confiance dans les inspecteurs de police et soutenait tous les collègues qui œuvrent chaque jour pour une société plus sécure..” On peut comprendre le réflexe de corps, l’émotion, la déception peut être des policiers de voir des collègues condamnés. À vrai dire on s’attendait à ce que ce type de réaction vienne des syndicats. Mais qu’un commissaire en chef commente ainsi une décision de justice est délicat. Les décision de justice s’imposent à tous, y compris à la police. En particulier à la police, qui est garante de l’ordre public. La loi est faite pour tout le monde, qu’on porte ou pas un uniforme. C’est justement ce que ce jugement vient de rappeler.