L’édito de Fabrice Grosfilley : la grande méfiance des enseignants

900 000 élèves, 120 000 enseignants. Les chiffres qu’on vous donne ce matin ont de quoi donner le tournis, c’est la rentrée scolaire, et cet événement concerne tout le monde. Soit parce que vous êtes directement concernés, si vos enfants rentrent à l’école aujourd’hui ou dans les prochains jours, soit parce que vous travaillez vous-même dans une école, personnel administratif ou enseignant, soit parce que vous connaissez quelqu’un qui, de près ou de loin, va être concerné par cette rentrée : vos petits-enfants, vos cousins, votre beau-frère. Ils sont très rares, ceux qui n’ont plus aucun rapport avec le monde scolaire, que l’on parle d’enseignement fondamental ou d’enseignement supérieur.

Cette rentrée 2024 est déjà un peu particulière parce qu’elle comporte, comme chaque année, son lot de changements. La gratuité scolaire est étendue à la 3e primaire. Théoriquement, les parents ne doivent donc rien payer pour les cahiers et livres ; les écoles reçoivent pour cela un forfait de 70 euros par élève. Le tronc commun est étendu à la 5e primaire, et la taille des classes en maternelle ne devrait plus dépasser les 24 élèves.

Et puis surtout, cette rentrée s’effectue dans un contexte politique qui a complètement changé. Conséquence des élections du 9 juin et des négociations rondement menées en Fédération Wallonie-Bruxelles par le Mouvement Réformateur et les Engagés. Exit Caroline Désir, la nouvelle ministre de l’Enseignement et une autre Bruxelloise, la libérale Valérie Glatigny. Ce n’est pas qu’un changement de personne, ou une variation de style. C’est aussi l’annonce d’une nouvelle politique en matière d’éducation. La nouvelle majorité en a donné un avant-goût lors de la publication de sa déclaration de politique communautaire. Le Pacte d’Excellence sera donc évalué, ce qui indique qu’il pourrait être remis en cause, en tout ou en partie. On limitera voire interdira l’accès aux GSM en classe. Et on touchera notamment au statut des enseignants.

Remplacer le statut actuel des enseignants, qui sont des fonctionnaires nommés à vie, par un CDI, un contrat de travail classique, a crispé plus d’un enseignant et plus d’un syndicat. Pour la nouvelle majorité, il s’agit de fluidifier la nomination, de permettre un accès plus facile à la carrière d’enseignant sans attendre qu’un poste se libère. Pour les enseignants, c’est rogner sur l’indépendance des instituteurs et professeurs, qui se retrouveront sous une autorité très forte de leur direction ou de leur pouvoir organisateur. Le débat promet d’être animé. Il est compliqué également par une volonté de la nouvelle majorité de revoir l’accès des enseignants à un barème avantageux (le barème 501) quand ils sont titulaires d’un master. Les enseignants qui passent ce master n’apprécient pas qu’on revoit les règles du jeu en cours de route et qu’on prétende exiger d’eux, outre le diplôme, des tâches supplémentaires pour avoir désormais droit à ce salaire plus élevé. Dernière annonce en date, ce matin dans le journal Le Soir, Valérie Glatigny annonce son intention de créer un panel d’enseignants avec lequel elle dialoguera pour implémenter ces mesures. 80 à 100 enseignants, que son cabinet sélectionnera et qui seront donc un mini-parlement du secteur éducatif. Une mesure qui ressemble fort à un contournement des syndicats.

On n’est pas Madame Soleil. Mais si la rentrée s’effectuera probablement dans le calme et dans la bonne humeur ce lundi, on n’est pas du tout certain que la législature sera calme sur le front de l’enseignement. On se prépare même, au contraire, à une certaine agitation. C’est la rentrée aujourd’hui pour de nombreux élèves, pour les enseignants, pour la ministre. Dans quelques semaines, ce sera celle aussi des syndicats, qui risque d’être dans une autre tonalité.

Fabrice Grosfilley