L’édito de Fabrice Grosfilley : la déchirure
Comment sortir de l’impasse ?
Comment enfin redonner une chance aux négociations bruxelloises d’aboutir ? David Leisterh, le formateur francophone de ce prochain gouvernement, a relancé hier un nouveau cycle de consultations. Il élargit les discussions à des partis qui n’étaient pas directement impliqués dans les négociations des dernières semaines : le CD&V côté néerlandophone, Ecolo et DéFI côté francophone.
Pour l’instant, rien de probant. Le CD&V continue d’affirmer qu’il n’est pas demandeur, mais sans dire catégoriquement non : “Il y a un accord côté néerlandophone et je n’en fais pas partie.” Une position plutôt négative, mais légèrement ambiguë, qui ne ferme pas totalement la porte. DéFI, avec ses cinq députés, ne dit pas non, mais cela ne suffirait pas. Ecolo, par la voix de Zakia Khattabi, a assez clairement dit non hier, même si en politique, rien n’est jamais définitif.
Bref, ce jeudi matin, nous n’avons pas de solution de rechange. Personne, dans le camp francophone, pour remplacer le Parti socialiste. Pas de réelle piste pour repartir de zéro dans le collège néerlandophone et se passer de la N-VA.
Un constat interpellant
Pour ceux qui suivent la politique bruxelloise – ils ne sont peut-être pas si nombreux – le constat est interpellant. L’addition des exclusives émises de part et d’autre rend l’équation quasiment impossible à résoudre. Exclusive du PS vis-à-vis de la N-VA. Exclusive du MR et des Engagés vis-à-vis du PTB et de Team Ahdir. Une forme d’exclusive aussi du côté de l’Open VLD, qui pourrait accepter de céder un poste de commissaire au gouvernement, à condition que ce soit pour faire monter la N-VA. Même chose pour le CD&V, qui pourrait monter plus facilement à condition de faire sortir l’Open VLD. Et puis, il y a ces propos de Georges-Louis Bouchez qui, en juin, avait annoncé qu’Elke Van den Brandt, néerlandophone, ne pourrait pas conserver la compétence de la Mobilité dans le gouvernement à venir. Bref, ils sont nombreux à avoir émis des exclusives. Très nombreux à avoir délibérément enfermé la négociation dans un carcan dont on ne peut plus réellement sortir.
Des pistes hasardeuses
Hier, Sophie Rohonyi, pour DéFI, avançait une piste qui consisterait à ne pas installer un gouvernement, mais des ministres. Pour faire simple : pas de vote du parlement sur une équipe gouvernementale et un projet d’ensemble, mais un scrutin ministre par ministre. La disposition existe sur le plan institutionnel, c’est vrai. Mais ce serait politiquement scabreux. Imaginer un gouvernement sans accord à défendre, où l’aile francophone ignorerait les néerlandophones, et vice-versa, avec des minorités de blocage constantes… Ce serait le degré zéro de l’action gouvernementale.
Zakia Khattabi, de son côté, appelait à lancer une grande réflexion sur une réforme des institutions bruxelloises, comme mettre fin au système de double collège. Une idée louable, certes, mais ce n’est pas la priorité. La priorité, aujourd’hui, reste de former un gouvernement, même si on ne doit pas s’interdire de réfléchir à la suite. Avoir les deux réflexions en même temps compliquerait encore l’équation.
Le danger d’un retour au communautaire
Un danger réel plane aujourd’hui : celui du retour à une logique communautaire. Tous les partis néerlandophones se sont accordés pour déposer une note principalement axée sur des demandes institutionnelles. Ceux qui n’en faisaient pas une priorité ont gardé le silence. Ces demandes sont désormais sur la table, et la publicité faite autour ainsi que le raidissement des déclarations des derniers jours les transforment en préalables.
En face, le camp francophone est aujourd’hui divisé. Un PS qui s’enferme dans un refus catégorique de discuter, mais qui se retrouve seul. Et deux autres partis, le MR et Les Engagés, dont la position consiste à dire : “On ne doit pas refuser de discuter, mais cela ne signifie pas accepter n’importe quoi.” L’histoire nous enseigne que lorsque les francophones sont divisés, les néerlandophones finissent souvent par arriver à leurs fins. Rappelons que les néerlandophones sont numériquement très minoritaires à Bruxelles. Certes, les protections institutionnelles leur donnent plus de poids qu’ils ne devraient en avoir. Mais en cas de blocage, c’est au niveau fédéral que le débat remonte. Et là, c’est exactement l’inverse : ce sont les francophones qui se retrouvent en position minoritaire.
Si, en plus, les Bruxellois francophones ne peuvent pas compter sur un soutien sans faille des représentants wallons, il y aurait de réelles craintes à avoir. Le risque est que la résolution de la crise se fasse par-dessus les intérêts bruxellois. Quand les Bruxellois se déchirent, ce sont les Flamands et les Wallons qui décident à leur place.
Fabrice Grosfilley