L’édito de Fabrice Grosfilley : Kamala Haris – Donald Trump, un match nul ?
Le choc des ambitions, un moment clef de la campagne électorale, une occasion unique de s’adresser aux indécis. La preuve aussi que, dans ce monde des réseaux sociaux et des chaînes WhatsApp, la télévision peut conserver une certaine influence. Cette nuit, il était 3 heures du matin, heure belge, lorsque Kamala Harris et Donald Trump se sont affrontés dans un débat télévisé de la chaîne ABC. C’est la première fois que les deux candidats étaient invités à débattre l’un contre l’autre. Ce sera peut-être la dernière aussi, puisqu’à ce stade, aucun autre débat n’est encore programmé. Autant dire que le moment était crucial pour l’un comme pour l’autre. Pour Kamala Harris, il fallait se montrer à la hauteur de l’enjeu, démontrer une stature présidentielle, apparaître capable d’endosser le rôle. Pour Donald Trump, il fallait relancer une campagne qui piétine, essayer de trouver une nouvelle dynamique et ne pas répéter sans cesse les mêmes arguments, qui consistent surtout à dénigrer l’adversaire et à se poser en victime du système.
Pendant 90 minutes, la candidate démocrate et le candidat républicain ont donc parlé de l’accès à l’avortement, des guerres en Ukraine et à Gaza, du changement climatique, mais aussi du coût des soins de santé et des divisions raciales, un sujet toujours très sensible aux USA. Kamala Harris regardait régulièrement les téléspectateurs dans l’œil de la caméra. Elle les a mis en garde à plusieurs reprises contre les mensonges de son opposant. Donald Trump, plus agressif, était lui en permanence tourné vers la caméra et n’a jamais regardé son adversaire. Quand Trump parlait, Kamala Harris affichait parfois une mine dubitative, parfois un sourire ironique.
C’est peut-être sur la question de l’avortement que l’affrontement aura été le plus violent. Kamala Harris a souligné la responsabilité du président républicain dans la nomination de trois juges conservateurs à la Cour suprême, qui ont aboli la législation fédérale sur le droit à l’avortement. Donald Trump a accusé les démocrates de permettre la mise à mort de bébés jusqu’à leur naissance, voire même après. « J’avais prévenu que nous allions entendre un tissu de mensonges », a répondu Kamala Harris. « Nulle part en Amérique, une femme ne va aller au terme de sa grossesse pour demander un avortement. Ça n’arrive jamais. C’est insultant pour les femmes d’Amérique », a-t-elle poursuivi, énumérant les situations de détresse dans lesquelles se retrouvent des femmes vivant dans des États qui ont récemment restreint le droit à l’avortement.
Les principales critiques de Donald Trump cette nuit ont été adressées à Joe Biden, à tel point que Kamala Harris a fini par préciser que c’était contre elle qu’il se présentait, et non contre Joe Biden. Donald Trump a également insisté sur un supposé déclin des États-Unis : « Nous sommes une nation en faillite », a-t-il critiqué. La démocrate a accusé Trump d’avoir, tout au long de sa carrière, « tenté d’utiliser les questions raciales pour diviser les Américains ». Trump a rétorqué que Kamala Harris avait pour projet de confisquer les armes de tout le monde. Questions raciales contre droit au port d’armes, et aussi la question de l’immigration, où Donald Trump n’a pas hésité à évoquer des migrants qui mangeraient les chats et les chiens. Le modérateur du débat, le journaliste David Muir, a alors répété à plusieurs reprises qu’aucune preuve ne permettait d’étayer cette information. Vu d’Europe, certains passages de ce débat peuvent donc nous paraître surréalistes.
Qui a gagné, qui a perdu ? Cette nuit, chaque camp revendiquait la victoire. Les journalistes et commentateurs indépendants notaient surtout que Kamala Harris, dont c’était le premier débat à un tel niveau, avait plutôt réussi l’exercice. Elle a tenu tête à Donald Trump et a su le faire sans s’énerver. Ce débat était donc très différent de la dernière confrontation entre Donald Trump et le vieillissant Joe Biden, quand ce dernier avait été nettement mis en difficulté, au point de devoir finalement renoncer à sa candidature quelques semaines plus tard. Le débat d’hier était donc bien plus équilibré, ce qui est plutôt à l’avantage des démocrates. Kamala Harris vient d’ailleurs de proposer d’organiser un nouveau débat télévisé. Vu de Bruxelles, cette campagne n’est pas sans conséquence : le retour de Donald Trump à la Maison Blanche se traduirait par une réorientation de la politique extérieure des Etats-Unis, à commencer par la fin du soutien américain à l’effort de guerre ukrainien. C’est pour cela, entre autres, que cette élection nous concerne. Depuis quelques semaines, les deux candidats semblent au coude à coude dans les sondages. On verra dans les prochaines heures ou les prochains jours si cet échange aura changé la donne.
Fabrice Grosfilley