L’édito de Fabrice Grosfilley : immigration, quel modèle ?

Les États-Unis, l’Argentine, l’Italie, la Hongrie, l’Autriche, mais aussi en partie Israël, les Pays-Bas, la Finlande et la Slovaquie, où ce sont des gouvernements de coalition, et peut-être demain l’Allemagne… La liste des pays où des leaders d’extrême droite ou au moins de droite populiste ont pris le pouvoir est donc en train de s’allonger. Ce qui était autrefois une exception, suscitant à chaque fois mises en garde et protestations, est en train de se banaliser. 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’afficher d’extrême droite n’est plus un tabou. Cela n’empêche plus de se faire élire et d’entrer dans un gouvernement.

Hier soir, plusieurs milliers de manifestants étaient donc dans les rues de Berlin pour dénoncer le rapprochement de la CDU, le grand parti chrétien-démocrate allemand avec l’AfD (Alternative für Deutschland), le parti d’extrême droite. Ensemble, ces deux formations ont voté mercredi une motion visant à durcir la politique migratoire. C’est la première fois depuis 1945 qu’un parti démocratique s’associe à l’extrême droite en Allemagne. Depuis 80 ans, tous les partis traditionnels avaient toujours exclu une coopération avec l’extrême droite, appliquant la règle du “cordon sanitaire”.  Pour les manifestants d’hier soir, le vote de mercredi est donc un “tabou brisé”, “absolument inacceptable”. Ils étaient 6 000 à Berlin, ce qui n’est pas tant que cela, 5 000 à Leipzig, 7 000 à Munich. Il y a eu des rassemblements à Düsseldorf, Hanovre, Fribourg…

Adoptée par 348 voix contre 345, la motion de mercredi demande que l’Allemagne refoule à ses frontières tous les étrangers qui ne seraient pas munis de documents d’entrée en règle, y compris les demandeurs d’asile. Cette motion non contraignante ne va pas changer la face du monde. Mais elle représente un symbole important. Surtout, elle indique une inflexion stratégique dans la ligne de la CDU. Dans trois semaines, les électeurs allemands sont appelés à désigner un nouveau Parlement fédéral. En s’associant à l’extrême droite, le nouveau leader du parti envoie donc un signal aux électeurs d’extrême droite.

Aujourd’hui, dans les sondages, la CDU est créditée de 30 % d’intentions de vote, l’AfD, poussée par Elon Musk, en recueille 20 %. L’idée que les deux partis puissent s’allier demain fait frémir plus d’un démocrate. On n’en est pas encore là. Angela Merkel, ancienne chancelière et figure tutélaire de la CDU, est d’ailleurs sortie de sa réserve hier en publiant un communiqué appelant à maintenir le cordon sanitaire :

“Abandonner cet engagement et permettre une majorité avec les voix de l’AfD au Bundestag est une erreur.”  Elle a insisté sur la nécessité que tous les partis démocratiques travaillent ensemble “au-delà des frontières politiques partisanes”, rejetant également “les manœuvres tactiques”.

En Allemagne, l’avertissement d’Angela Merkel est clair. Au moment où la coalition en Arizona est en train de boucler un accord de gouvernement qui prévoit aussi un durcissement des règles migratoires, il est peut-être sain de se demander si cet avertissement ne devrait pas  résonner aussi chez nous.

Certes, le mouvement semble être le même partout : aux États-Unis, en Italie… Tout le monde s’en prend aux migrants. C’est quasiment un réflexe pavlovien en temps de crise. Mais c’est justement parce que la crise est là qu’il faut se demander quelle Belgique et quelle Europe nous voulons pour demain. Le modèle de la forteresse repliée sur elle-même, parce qu’elle ne pourrait pas accueillir la misère du monde… Le modèle qui veut hiérarchiser l’accès aux droits humains ou à la prospérité en fonction de l’origine ou de la nationalité… Que le slogan s’appelle “Notre peuple d’abord” ou “America First”, ce modèle semble devenir dominant.  Il n’est pas interdit de s’interroger sur sa pertinence et sur les valeurs sous-jacentes qu’il implique.

  • Un édito de Fabrice Grosfilley