L’édito de Fabrice Grosfilley : fausse menace, vrai rappel
C’est donc le retour de la menace. Une menace dont on hésite à évaluer la véracité ce jeudi matin. En se demandant si on l’attribue à un plaisantin ou s’il faut la prendre au sérieux (je commence l’écriture de mon éditoriale tous les jours vers 6h30, l’analyse de l’OCAM arrivera deux heures plus tard et nous permettra d’y voir plus clair). Dans le doute, le centre de crise a décidé d’appliquer le principe de précaution. Il préconise pour ce jeudi “une vigilance accrue” dans toutes les écoles secondaires sur “tout le territoire”. Des mesures de prévention ont donc été prises, les établissements pouvant, le cas échéant, en ajouter. D’autre pouvant aller jusqu’à la fermeture des établissements, mais cela ne sera pas le cas en Région Bruxelloise.
Cette montée d’un cran dans la mobilisation est de nature à nous inquiéter bien sûr. À inquiéter les élèves et leurs parents évidement. En Fédération Wallonie-Bruxelles il y a près de 370 000 élèves qui fréquentent une école secondaire. On dépasse le million d’élèves quand on ajoute l’enseignement néerlandophone sur l’ensemble du royaume, sans compter les professeurs. Bref, cette alerte générale concerne tout le monde et vous allez forcément connaitre quelqu’un, un enfant, un voisin, un cousin, un ami qui va être concerné.
A l’origine de cette menace : un mail qui prétend se revendiquer de l’État Islamique et adressé directement aux établissements scolaires. Ce message a donc dû être identifié, mais il a fallu attendre un peu puisque, hier soir, la police fédérale ne communiquait pas sur le sujet. Les responsables de réseaux et les pouvoirs organisateurs étaient prudents : on renforcerait la surveillance à l’entrée des écoles, on mettrait un surveillant ou un enseignant supplémentaire pour s’assurer que ceux qui pénètrent dans l’enceinte sont bien des élèves connus. Et peut-être qu’il y aurait aussi l’une ou l’autre patrouille de police qui passerait devant les écoles.
Toute la difficulté dans ces moments-là, c’est donc d’appliquer ce fameux principe de précaution sans pour autant céder à l’affolement. Ne rien dire, ne rien faire, ne pas partager l’information, ce serait considérer à priori qu’elle n’est pas crédible. En cas d’erreur de jugement, ce serait une faute qu’on ne pardonnerait pas aux autorités. À l’inverse, communiquer, prévenir les cibles potentielles, c’est créer de l’angoisse et prendre le risque d’un effet de panique. Le dilemme entre les deux attitudes est cornélien. Et probablement, avec le recul, que beaucoup se diront en haussant les épaules “tout ça pour ça.”
Oui tout ça pour cela. La menace n’a pas disparu, nous sommes toujours en niveau 3. On sait que la situation internationale est tendue. Que Moscou vient d’être la cible d’un attentat terroriste, que d’autres messages menaçants ont visé des rencontres de football hier soir encore. Jouer avec nos nerfs, nous déstabiliser, et aussi tester notre capacité de mobilisation et le niveau de vigilance des forces de police et de renseignement, c’est peut-être d’ailleurs ce que cherchent à faire les auteurs de ces messages. C’est profondément malveillant.
Cela nous rappelle aussi que depuis une dizaine d’années, nous avons changé d’époque. Il y a 10 ans, le 24 mai 2014, le musée juif de Bruxelles était la cible d’une première attaque terroriste. Et puis il y a eu Paris, Charlie-Hebdo, les terrasses et le bataclan, les attentats de Bruxelles, d’autres attaques, au couteau notamment. Pour les plus âgés, ceux de ma génération ou des générations précédentes, c’est sans doute la perte d’une certaine innocence. L’entrée dans un monde ou la sécurité nous semble moins assurée qu’avant, un monde où la menace ne disparait jamais complétement. On ne doit pas sombrer dans la paranoïa, on ne doit pas surréagir à ce qui n’est peut-être qu’une très mauvaise plaisanterie. Mais on doit se rappeler aussi qu’un match de football, un concert, un verre en terrasse, l’accès à l’école où l’on enseigne un savoir accessible à tous et pas seulement des prescrits religieux, bref tout ce qui fait le cœur, le sel, la fierté de notre existence est précisément ce que visent certains terroristes. Et que c’est bien la destruction de l’ensemble de ces plaisirs et des libertés qui y sont associées que remettent en cause les idéologies fondamentalistes.
Fabrice Grosfilley