L’édito de Fabrice Grosfilley : Fabian
Il n’avait pas encore 12 ans. Sa photo, que vous avez pu voir sur les réseaux sociaux hier ou dans la presse ce matin, est celle d’un petit garçon. Elle a de quoi faire frissonner plus d’un parent. Comment réagirions-nous si Fabian avait été notre enfant, notre petit-fils, un cousin, un neveu, un élève de notre classe si nous sommes instituteur, un ami de nos enfants ou petits-enfants, par exemple ?
Selon les premières constatations, le garçon aurait tenté d’échapper à un contrôle policier en coupant à travers le parc. Un SUV de la police de la zone Bruxelles-Ouest l’a poursuivi jusqu’à cette collision mortelle, au milieu d’une pelouse. Des témoins affirment que le véhicule de police roulait à vive allure. D’autres disent que le garçonnet a perdu l’équilibre avant d’être percuté. Fabian est mort peu après à l’hôpital. Le parquet de Bruxelles a confirmé qu’il s’agissait bien d’une course-poursuite. Le Comité P a été saisi et une expertise technique a été lancée. Le conducteur du véhicule et sa passagère ont été entendus.
Fabian n’avait pas encore 12 ans. Il n’avait donc effectivement pas le droit de se trouver sur une trottinette, puisqu’il faut légalement avoir 16 ans pour conduire ces engins. Fabian le savait probablement, puisqu’il a pris la fuite. Que risquait-il pour cela ? Une remontrance, une amende, que ses parents auraient dû payer. Le montant de l’amende est de 58 euros. Peut-on mourir pour une infraction à 58 euros ? Peut-on prendre tous les risques pour rattraper un enfant qui a commis une infraction aussi légère ? Peut-on lancer son véhicule à toute vitesse dans un parc, alors qu’il n’est pas encore 18 heures et qu’on risque d’y croiser d’autres enfants, des promeneurs, des familles ? Peut-on seulement se poser ce type de question et avoir un doute sur la réponse ?
La mort de Fabian, c’est aussi le douloureux rappel que, pour beaucoup de policiers, une personne qui n’obtempère pas à un contrôle devient un grand criminel, et que les moyens à engager pour la poursuite sont sans limites. Avant Fabian, il y a eu Adil, Sabrina et Ouassim, Mawda, Mehdi. À chaque fois, la même sidération, la même colère, la même impression que l’accident aurait pu – ou aurait dû – être évité. Hier, lorsque j’interrogeais Paul Dhaeyer sur le sentiment que la justice n’était peut-être pas assez sévère avec les policiers qui dérapent, celui-ci se voulait rassurant. Il affirmait au contraire que la justice restait impartiale, et qu’un policier qui commet un acte répréhensible serait jugé en conséquence. Dans toutes les affaires que je viens de citer, les policiers n’ont écopé que de peines de prison avec sursis, certains ont été acquittés, d’autres procédures sont encore en cours.
Alors, comment ne pas s’interroger ? Comment ne pas se dire qu’il faudra, une fois l’enquête refermée, établir clairement ce qui est proportionnel et ce qui ne l’est pas dans une course-poursuite ? La police est là pour faire respecter la loi et protéger le citoyen. On ne peut pas permettre que les attitudes des policiers transforment des citoyens en victimes.
Dernière réflexion sur les commentaires que j’ai pu lire sur les réseaux sociaux, où un certain nombre d’internautes se croient autorisés à dire que ce qui s’est passé est normal, que Fabian n’avait qu’à ne pas s’enfuir. Je passe sur la dimension raciste de certains commentaires, ou sur la haine de la jeunesse qui s’exprime ici. Non, la police n’a pas tous les droits. Et même si les policiers font un métier difficile, ils n’ont pas de permis de tuer. Être policier, ce n’est pas être James Bond. On doit respecter le cadre de la loi.
Ces internautes qui pensent que tout est permis quand on est dans la police, qu’un jeune, c’est forcément un délinquant, et qu’on peut donc lui ôter la vie, font fausse route. On imagine que ces génies du clavier qui veulent les pleins pouvoirs pour la police sont des gens qui n’ont jamais brûlé un feu rouge, jamais commis un excès de vitesse, jamais dissimulé quoi que ce soit au fisc ou eu recours au travail au noir. À ces citoyens exemplaires, adeptes de la loi et de l’ordre absolus, qui aspirent à vivre dans un pays au pouvoir fort et aux libertés démocratiques réduites, vos commentaires sont tellement abjects, tellement dénués de la plus élémentaire compassion, qu’on préfère ne pas s’y attarder.
On retiendra plutôt la dignité et l’émotion que l’on pouvait ressentir hier soir lors de ce rassemblement de citoyens, qui voulaient rendre hommage au petit Fabian et soutenir sa famille.
Parce que, face aux commentaires haineux et à la violence débridée, on veut que ce soit toujours l’humanité, l’intelligence et le respect de la vie humaine qui triomphent.
Fabrice Grosfilley





