L’édito de Fabrice Grosfilley : droit à la réinsertion contre exigence d’exemplarité
Peut-on devenir échevin après avoir été condamné à des peines de prison ? Cette question a agité le landerneau politique hier, suite à la désignation de Yassine Akki au poste d’échevin à Molenbeek. Yassine Akki n’est pas un inconnu dans cette commune : il est l’actuel président du Port de Bruxelles et avait obtenu plus de 800 voix aux élections d’octobre, signant ainsi le 4ᵉ meilleur score sur la liste socialiste. Sa désignation comme échevin semblait donc tout à fait logique. Pourtant, Yassine Akki a renoncé hier à ce poste, en raison d’une polémique liée à son casier judiciaire.
En effet, Yassine Akki a été condamné à deux reprises par la justice. En 1998, il avait écopé de 10 mois de prison avec sursis pour un vol avec effraction. Mais surtout, en 2001, il a été condamné pour un viol sur mineure. La victime, une jeune femme de plus de 16 ans, avait été agressée par Yassine Akki, alors âgé d’une vingtaine d’années. Cette condamnation s’était également soldée par une peine de prison assortie d’un sursis. Ces deux condamnations figurent dans son casier judiciaire.
Peut-on devenir échevin après avoir été condamné à des peines de prison ? C’est une véritable question. D’un point de vue légal, la réponse est oui. Yassine Akki n’a pas été condamné à une déchéance de ses droits civiques, ce qui lui permettait de se présenter aux élections. Il est important de noter que, dans le cas d’un bourgmestre, qui exerce une autorité sur la police locale, une enquête préalable du parquet est requise pour évaluer l’aptitude du candidat. Mais cette règle ne s’applique pas aux échevins. Dès lors, rien n’empêchait juridiquement sa désignation.
Mais au-delà de la légalité, c’est surtout sur le plan moral et politique que la question se pose. Une personne condamnée peut-elle représenter la commune et ses habitants ? Peut-elle exercer une autorité sur les fonctionnaires communaux ? Ces interrogations soulèvent des débats. D’un côté, il y a le droit à la réinsertion. Être jugé, purger sa peine, payer une amende : ces sanctions permettent à une personne de revenir à une vie normale. Dans le cas de Yassine Akki, les faits reprochés remontent à plus de 20 ans. Aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, il semble avoir pris un autre chemin. C’est justement le principe de la justice : permettre de payer pour ses fautes tout en offrant une chance de rédemption. C’est pourquoi il est préférable de parler de droit à la réinsertion plutôt que de droit à l’oubli.
Cependant, d’un autre côté, il y a l’exigence d’exemplarité des élus. Gérer un budget ou un personnel implique une responsabilité particulière, et le monde politique est censé incarner des valeurs irréprochables. Une condamnation pour viol, surtout sur mineure, est une tache particulièrement difficile à effacer. À l’ère de #MeToo et par respect pour les victimes de violences sexuelles, confier une fonction d’autorité à un individu ayant un tel passé soulève inévitablement des protestations.
Évidemment, il y a aussi une dimension de politique politicienne dans cette polémique. Yassine Akki est élu conseiller communal depuis 2012 et a déjà été candidat aux élections régionales. Il s’agissait donc de sa quatrième candidature, et ses condamnations passées étaient bien connues. Le rappel de ces faits par le journal La Dernière Heure hier matin ressemble à un coup politique, probablement alimenté par ses adversaires. Néanmoins, les faits sont là, et le débat aussi. Ce débat entre probité et droit à la réinsertion est tout sauf simple. Selon nos sensibilités, la gravité que nous attribuons aux faits ou notre vision de la moralité, chacun peut avoir une appréciation différente de ce que l’on doit attendre d’un élu.
Yassine Akki, probablement poussé par son parti, a décidé de faire un pas de côté. Fin de l’histoire pour cette fois. Mais cet épisode doit inciter les partis politiques à réfléchir sérieusement à leurs exigences envers leurs candidats en matière de casier judiciaire. Si un parti décide de présenter un candidat, ce n’est pas pour l’abandonner à la première bourrasque. Enfin, il convient de rappeler que le cas de Yassine Akki n’est peut-être pas si isolé. Ainsi, Sait Köse, condamné pour fraude financière, a lui aussi été élu récemment à Schaerbeek. En démocratie, ce qui n’est pas interdit est autorisé. C’est une question d’Etat de droit. Si la loi permet à quelqu’un de se présenter à une élection, c’est ensuite aux électeurs de juger.
Fabrice Grosfilley