L’édito de Fabrice Grosfilley : des économies sur la sécurité nucléaire ?

Dans son édito de ce mercredi 13 décembre, Fabrice Grosfilley revient sur la gestion des déchets nucléaires.

Le courrier est interpellant. Il a été adressé à la ministre de l’Énergie et au ministre de l’Économie. Le journal l’Écho a pu s’en procurer une copie, signe qu’un interlocuteur avait envie que ça se sache. Ce courrier est donc signé de l’ONDRAF : organisme national des déchets radioactifs et matières fissiles. En clair : l’organisme qui gère les déchets de la filière nucléaire et qui s’occupe du démantèlement des installations une fois qu’elles ne sont plus en production. Dans cette lettre adressée aux deux ministres de tutelles de l’organisme, les signataires affirment, sans prendre de gants, qu’ils n’ont plus les moyens de mener leur mission à bien.

L’ONDRAF emploie aujourd’hui 750 personnes. Demain, l’organisme pourrait, faute de financement suffisant, licencier 140 personnes. Pire, l‘organisme pourrait reporter un certain nombre de projets. C’est le cas d’un nouveau centre de réception et de stockage des déchets, dont la construction pourrait être retardée, voire être suspendue. Ce nouveau bâtiment, où les déchets doivent être stockés provisoirement jusqu’à ce qu’on leur trouve un site d’enfouissement définitif, est pourtant considéré comme crucial pour garantir la sûreté nucléaire. Que des dirigeants d’un organisme se plaignent de ne pas avoir suffisamment de moyens dans un courrier au gouvernement, c’est courant. Mais là, la menace a de quoi interpeller. Ce n’est pas un feu orange légèrement clignotant, c’est une alarme à plein volume qui vient d’être déclenchée.

Les dirigeants de l’ONDRAF mettent notamment l’accent sur deux activités qui coûteraient plus cher que prévu. L’assainissement de l’ancienne usine de retraitement Eurochemic à Dessel, et celui du centre de recherche qui se trouvait à proximité. Pour venir à bout de ces deux dossiers, l’organisme – le jour même où le gouvernement fédéral va signer – estime avoir besoin de 1,15 milliard d’euros au cours des cinq prochaines années, soit 229 millions d’euros par an… alors que l’État fédéral ne lui en verse que 69, trois fois moins que ce que l’ONDRAF estime nécessaire.

Cet étranglement financier dont le courrier fait état a évidemment de quoi nous inquiéter. Que ce courrier soit publié le jour même où le gouvernement fédéral signe un accord sur la prolongation de deux centrales nucléaires n’est sans doute pas un hasard. Hier soir, cet accord de prolongation a obtenu le feu vert du gouvernement fédéral, la signature avec Engie aura lieu ce mercredi sous l’œil des caméramen et photographes. Un document de 1.500 pages qui prévoit que les centrales prolongées seront détenues à 50/50 par l’entreprise Engie et l’État fédéral (nous sommes donc tous devenus copropriétaires d’une petite part de ces centrales), et surtout la création d’un nouveau fonds où seront logées les provisions en vue du démantèlement de ces réacteurs. Engie y versera 15 milliards d’euros, ce qui est évidemment une somme conséquente.

Le problème, on le sait, est que les prévisions d’un jour ne sont pas la réalité du lendemain. Et si 15 milliards peuvent sembler un montant suffisant aujourd’hui, il est fort possible que cela s’avère sous-évalué dans quelques années. C’est un enjeu régulièrement (délibérément ?) sous-estimé des débats autour de la prolongation du nucléaire : qu’allons-nous faire des déchets ?  À ce stade, la Belgique n’a pas réellement de solution. On les enfouira en attendant mieux. On ne sait pas encore vraiment où. Ces déchets, pour rappel, seront radioactifs pendant plusieurs centaines de milliers d’années en ce qui concerne les plus dangereux. Et outre les combustibles, qui sont les éléments les plus hautement radioactifs, il faudra aussi s’occuper de démonter et traiter tout le réacteur, les bâtiments à proximité, les coques en béton des cheminées, etc. Ce travail de démantèlement et de retraitement, c’est l’ONDRAF qui aura la responsabilité de l’encadrer. Se rendre compte que cet organisme, dont on aura, qu’on le veuille ou non, tant besoin dans le futur, est d’ores et déjà sous-financé et n’est sûrement pas de nature à nous rassurer. On peut débattre à l’infini des choix énergétiques, c’est la responsabilité du monde politique de trancher la question. Il y a une chose sur laquelle un État ne peut pas transiger : la sécurité.

Fabrice Grosfilley