L’édito de Fabrice Grosfilley : déni et résistance climatique, à Dubaï et Bruxelles

Dans son édito de ce mardi 12 décembre, Fabrice Grosfilley nous parle du débat sur les énergies fossiles.

Ce sont deux débats qui se superposent à plusieurs milliers de kilomètres l’un de l’autre. L’un à Dubaï (pendant la COP28), l’autre sur le réseau X, anciennement Twitter, au départ de messages postés depuis Bruxelles, rue des Petites Carmes, au ministère des classes moyennes. Des prises de positions, des visions, qui se répondent et qui nous renvoient en miroir le débat entre les partisans des énergies fossiles, et ceux qui souhaitent en sortir.

Commençons par la COP28, à Dubaï, puisque c’est là que le débat mondial se tient et que les décisions les plus importantes doivent se prendre. Les négociations y paraissent ce matin bloquées, enlisées dans une opposition frontale entre les pays producteurs de pétrole d’un côté, le monde scientifique et les pays qui souhaitent plus d’ambitions de l’autre. Le grand enjeu de cette 28econférence des parties” était initialement de pouvoir écrire clairement que tous les États s’engageaient à sortir des énergies fossiles que sont le pétrole et le gaz. Le projet de compromis mis sur la table par la présidence de la COP28  ne parlait à l’heure de la clôture théorique des débats que de “réduction tant de la consommation que de la production d’énergies fossiles d’une manière ordonnée et équitable afin d’achever le net zéro d’ici, avant ou aux alentours de 2050″. Une réduction, et pas une sortie, on est très loin de ce que recommande la communauté scientifique si on veut réellement enrayer la production de gaz à effet de serre et tenter de contenir le réchauffement climatique. Même sur la sortie du charbon, dont le principe avait été arrêté lors de la COP précédente, celle de Glasgow, il ne serait désormais plus question d’en arrêter l’utilisation, mais de la limiter.

Pour le commissaire européen en charge de l’action climatique, Wopke Hoekstr qui conduit la délégation européenne, c’est “décevant et inadéquat”. Les États-Unis appellent de leur côté à renforcer fortement le projet, d’accord. “C’est la dernière COP où nous aurons la chance d’être capable de maintenir en vie l’objectif de 1,5°C”, a précisé le négociateur américain John Kerry. Greenpeace et d’autres ONG dénoncent également un projet d’accord jugé “dangereux“. Ce texte de la présidence émirati qui n’obligerait pas les pays responsables des émissions des gaz à effet de serre à faire plus d’efforts privilégierait en fait la recherche dans les technologies de capture de carbone. Des technologies qui, à ce stade, sont pourtant notoirement insuffisantes, mais sur lesquelles les pays producteurs de pétrole fondent tous leurs espoirs… Continuer à polluer dans l’idée que la technologie finira un jour par proposer une solution, c’est l’esprit de la proposition qui est sur la table. Un document qui, s’il était adopté tel quel, tournerait le dos aux accords de Paris.

En écho à ces débats de la COP, un tweet (enfin, un message posté sur le réseau X comme il s’appelle désormais). Il est signé David Clarinval, vice premier-ministre du Mouvement Réformateur, en charge des classes moyennes et des indépendants ainsi que de l’agriculture au gouvernement fédéral. Le message a été posé avant-hier, mais ce n’est qu’hier soir qu’il a commencé à faire du bruit. “Contrairement à ce qu’a annoncé la ministre Khattabi sans l’aval du gouvernement à Dubaï, le #begov ne mettra pas un terme aux politiques de soutien aux énergies fossiles“, écrit donc le ministre libéral. Cela reviendrait à arrêter le tarif social et à supprimer les voitures de société, et c’est contraire à l’accord de gouvernement, précise-t-il dans les messages suivants.

Zakia Khattabi a-t-elle tenu des propos laissant entendre qu’on toucherait au tarif social, ou que la fiscalité des voitures de société était menacée dans les mois qui viennent ? La réponse est non. La sortie de David Clarinval ressemble donc à un positionnement purement idéologique, une attaque gratuite, une diversion ou une déclaration hors sujet. En réalité, le tweet de David Clarinval est surtout destiné à parler à l’oreille de tous ceux qui redoutent une sortie (même progressive) des énergies fossiles. Si, à Dubaï, les défenseurs du climat doivent se battre contre les monarchies du pétrole, il ne faut pas oublier qu’à Bruxelles, les réticences peuvent parfois être les mêmes. C’est la même forme de déni climatique qui anime le sultan AL Jaber et le ministre Clarinval. La même crainte d’un changement aux conséquences radicales. Le même souhait de maintenir l’économie du pétrole, parce qu’on aurait trop à perdre à en sortir. Et peu importe que l’Union européenne et le gouvernement fédéral aient pris des décisions claires qui vont dans le sens d’une réduction des gaz à effet de serre, et que renoncer aux énergies carbonées soit le seul moyen concret de les atteindre. Sur la politique climatique, le MR applique la même tactique que la N-VA vis-à-vis de l’immigration pendant le gouvernement de Charles Michel : ne pas se sentir lié par l’accord de gouvernement ou les engagements internationaux de la Belgique, en faire un argument de propagande, quitte à provoquer une rupture de fait avec ses partenaires de coalition. Le Mouvement Réformateur, que ce soit par la voix de Georges-Louis Bouchez (relisez ou réécouter ses interviews où il évoque le sujet) ou les messages de David Clarinval, ne souhaite donc pas renoncer aux énergies fossiles (au passage : ceux qui appelleraient à une correction de ces propos par le “groupe” qui devait redéployer et partager la parole libérale devront bien noter que David Clarinval fait partie du dispositif mis en place par les réformateurs dans le cadre de leur campagne électorale).

Le sultan Al Jaber protège la rente pétrolière sur laquelle il est confortablement assis. Le MR fait le pari qu’un positionnement “climato-ralenti” lui sera profitable à quelques mois d’une élection cruciale. Et pour les vraies solutions contre le réchauffement climatique… on verra plus tard.

Fabrice Grosfilley