L’édito de Fabrice Grosfilley : de la représentativité

Faut-il réfléchir à l’organisation de notre démocratie ? La question revient périodiquement. Elle est sans doute plus prégnante dans les pays où l’abstention est massive et le vote contestataire élevé (regardons vers Paris par exemple). En Belgique francophone, nous sommes à ce stade relativement épargnés. L’extrême droite est cantonnée à des scores très modestes. Le vote obligatoire permet d’avoir des assemblées réellement représentatives. La victoire des libéraux et des Engagés dimanche dernier est une véritable victoire. À contrario, la défaite des écologistes est une véritable défaite. On peut parler de sanction populaire dans le sens positif du terme. Les députés élus sont donc bien élus, dans le sens où ils peuvent se targuer d’incarner une réelle représentativité.

Ce constat général ne doit pas nous empêcher de nous interroger sur la pertinence du système et sur les signaux qu’envoient malgré tout un certain nombre d’électeurs. Certes, il n’y a pas d’extrême droite en Belgique francophone, mais il y a un vote antisystème qui s’exprime par exemple au travers du PTB. Une partie de ces électeurs est sans doute en phase avec le programme du parti de Raoul Hedebouw. D’autres sont peut-être séduits par la personnalité et le verbe de Raoul Hedebouw, mais il y a probablement aussi dans cet électorat des citoyens qui veulent envoyer le signal qu’ils ne sont plus en phase avec les partis traditionnels et qu’ils rejettent un mode de gouvernement par lequel ils ne se sentent pas représentés.

Autre signal à prendre en compte : la part très importante d’électeurs qui décident de ne pas voter, élection après élection. Pour le scrutin de dimanche dernier, si on prend l’élection législative, sur 8 368 000 électeurs inscrits à l’échelle du royaume, 967 000 électeurs ne se sont pas déplacés, ce qui représente un peu plus de 11%. En région bruxelloise, on compte 97 000 abstentionnistes, la proportion monte à 15%, on est donc nettement au-dessus de la moyenne nationale. Il faut y ajouter les bulletins blancs et nuls, 31 000 bulletins en région bruxelloise par exemple, on est presque à 20% des électeurs bruxellois qui n’ont pas émis un vote valable. C’est un signal qui est quand même interpellant. Un électeur sur 5 qui a le droit de vote ne s’en est pas servi en région bruxelloise.

Et puis, il faut y ajouter tous ceux qui n’ont pas le droit de vote. On rappelle que ce droit est lié à la possession de la nationalité belge. Ceux qui ne l’ont pas ne peuvent donc pas voter. Les ressortissants européens peuvent voter pour les communales et les européennes, mais ils sont exclus du scrutin législatif, la chambre et du scrutin régional. Cela représente 350 000 personnes de plus de 18 ans en région bruxelloise. La politologue Emilie van Haute fait le calcul dans La Dernière Heure ce matin : un demi-million de Bruxellois n’a donc pas participé au scrutin. Soit de leur plein gré, les abstentionnistes, soit parce qu’ils en sont exclus, les étrangers. En clair, les élus bruxellois ne représentent qu’une partie de la ville. 520 000 bulletins utiles, cela représente juste la moitié des Bruxellois. Un peu plus si on retire les moins de 18 ans qui ne sont pas en âge de voter.

Quand on a tous ces chiffres en tête, on se dit que la représentativité de nos élus pourrait donc être réellement améliorée. Par exemple, en ouvrant le droit de vote aux étrangers qui résident à Bruxelles. Bien sûr, on pourrait l’assortir de conditions, par exemple résider depuis au moins 5 ans dans la ville, y payer ses impôts, c’est un débat qui vaudrait la peine d’être ouvert. Renoncer au vote obligatoire, en revanche, serait de nature à diminuer la représentativité de nos élus.

Et puis, il y a une autre réforme qui serait sans doute utile à Bruxelles, c’est la question de la représentativité garantie des élus néerlandophones. À l’évidence, aujourd’hui, les élus du collège néerlandophone du parlement bruxellois sont perçus comme moins représentatifs que leurs collègues francophones. Il faut moins de voix pour se faire élire côté néerlandophone que côté francophone. C’est le résultat d’un compromis historique lié à la 5e réforme de l’État. On peut observer aujourd’hui que de nombreux électeurs qu’on pourrait considérer comme francophones votent côté néerlandophone ou inversement. Cela fausse évidemment la représentativité, ce n’est sans doute plus très cohérent dans une ville qui a beaucoup évolué et où le clivage francophones contre flamands n’est plus la matrice principale. Réformer cette division en deux collèges linguistiques nous éviterait cette polémique sans fin sur qui est bien ou mal élu. Une partie des élus néerlandophones de Bruxelles y sont prêts. Je ne suis pas sûr que tous les états-majors des partis le soient aussi.

Fabrice Grosfilley