L’édito de Fabrice Grosfilley : De la montagne militaire à la souris budgétaire

La Belgique va devoir se faire toute petite au sommet de l’OTAN. Pas parce qu’elle refuse de défendre le principe d’un effort militaire accru. Mais parce qu’elle n’a toujours pas décidé comment le financer. Peut-être parce qu’elle n’a pas les moyens de le financer. Et que la montagne budgétaire qu’on nous annonçait a finalement accouché d’une souris.

À l’heure où Donald Trump impose sa marque sur l’Alliance avec une norme de 5 % du PIB à consacrer à la défense – 3,5 % en dépenses militaires et 1,5 % en résilience –, la Belgique se limitera donc à 2 % jusqu’en 2033, et 2,5 % l’année suivante. Ce sont les seules décisions prises à ce stade par la coalition Arizona. C’est donc moins que ce que demandent les États-Unis. Même s’il est vrai que c’est davantage que ce que notre petit pays a jamais consenti à investir depuis des décennies. Est-ce suffisant ? On verra dans quelques heures ce qu’en diront les Américains. Était-il réaliste d’aller plus loin ? Non, et c’est la position défendue par une bonne moitié des partis membres de la majorité fédérale.

Le MR, Vooruit, le CD&V et Les Engagés ont tous tiré la sonnette d’alarme : une dépense militaire de 5 % du PIB – soit plus de 10 milliards par an – dans un pays en déficit chronique, ce n’est pas crédible. Et dans le fond, la Belgique n’est pas la seule à freiner. L’Espagne refuse aussi de s’engager à une telle augmentation. Preuve que cette norme de 5 % relève plus d’une vision idéologique, d’une posture politique, voire d’un coup de com’, que d’une planification stratégique rationnelle.

Le ministre de la Défense, Theo Francken (NVA), n’a pas tout perdu : avec 34 milliards annoncés sur 10 ans, c’est, selon lui, un « pas historique ». La communication nous paraît un peu forcée. Car la décision fédérale ne dit encore rien sur la manière de financer cet investissement colossal. Le ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot, plus prudent, parle lui d’un « tournant stratégique ». Il insiste sur la nécessité de renforcer l’autonomie européenne, de sécuriser notre espace aérien, nos stocks de munitions, nos capacités de cybersécurité. Il met aussi en avant les retombées industrielles, en particulier dans les hautes technologies.

Quand on parle d’investissement en matière de défense, on pense bien sûr aux grandes firmes américaines. Mais aussi à des fabricants d’armes ou de munitions basés en Wallonie et en Flandre. Bruxelles pourrait aussi en profiter. Derrière les batteries de missiles et les frégates, il y a aussi des usines, des bureaux d’études, des ingénieurs. La capitale abrite déjà plusieurs pôles en cybersécurité et dans le secteur spatial, notamment autour des universités ou dans les zones industrielles à proximité de l’aéroport.

Pour l’instant, on ne parle donc que d’intentions. Pas de plan de financement. Pas de décision parlementaire. Juste la volonté de ne plus vouloir être le dernier de la classe OTAN. En 2024, la Belgique a consacré 1,3 % de son produit intérieur brut aux investissements dans la défense. On n’est pas les plus mauvais : l’Espagne, la Slovénie, le Luxembourg font encore moins. Mais on fait clairement partie des cancres. La Pologne dépasse les 4 %. La Lettonie, l’Estonie ainsi que la Grèce dépassent les 3 %. Le point commun de tous ces pays, c’est d’être aux confins de l’Europe et d’être plus directement exposés à une menace extérieure. Mais les Pays-Bas, l’Allemagne et la France sont déjà au-dessus des 2 %. Donc oui, la Belgique est en retard.

On ne pourra pas rattraper ce retard en quelques années seulement. Cela demande un effort sur la durée. Un effort qui sera probablement socialement douloureux. Car il faudra économiser ailleurs. Vouloir faire cet effort en quelques années, comme nous le demande Donald Trump, revient à courir un sprint alors qu’on est engagé dans un marathon. Quand on se met dans le rouge, on ne franchit jamais la ligne d’arrivée. Avoir conscience de la réalité de ses capacités, c’est de la lucidité. Et la lucidité, c’est indispensable quand on veut gouverner.

►L’edito de Fabrice Grosfilley

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