L’édito de Fabrice Grosfilley : comment Donald met l’Europe à genoux
Dans son édito de ce vendredi 27 juin, Fabrice Grosfilley revient sur Trump et les politiques européennes.
On a longtemps moqué ses outrances, ses revirements, ses tweets incendiaires. On le disait imprévisible, ingérable, grotesque parfois. Mais aujourd’hui, Donald Trump, président des États-Unis, est en train de prendre la main. C’est désormais lui qui fixe l’agenda des politiques européennes.
Depuis une semaine, les dirigeants européens passent d’un sommet à l’autre avec une même obsession : savoir ce que Donald Trump va faire, ou dire … ou ne pas faire et ne pas dire. À La Haye, lors du sommet de l’OTAN, ils ont plié : 23 États membres se sont engagés à porter leurs dépenses militaires à 5 % du PIB d’ici dix ans. Le secrétaire général de l’Alliance, le Néerlandais Mark Rutte, a sorti la brosse à reluire, qualifiant Donald Trump d’”homme de paix”, et l’appelant “papa” — sans qu’on sache très bien s’il plaisantait ou non. Un alignement sur la communication américaine qu’on n’avait pas vu depuis longtemps. Et pas vraiment par enthousiasme : les Européens ont dit oui pour éviter d’être humiliés, ou pour s’acheter un sursis. Mais personne n’a encore expliqué comment ces montants colossaux seront financés, ni où seront achetées ces armes. Les États-Unis, eux, sont déjà en embuscade pour vendre leurs équipements, leurs logiciels, leurs standards techniques. L’Europe parle d’”autonomie stratégique”, mais achète toujours son matériel militaire aux Américains.
Et pendant que les capitales digèrent cette promesse historique, une autre échéance approche : le 9 juillet. C’est la date que Donald Trump a fixée pour conclure un accord commercial avec l’Union européenne. Faute de quoi, il appliquera des droits de douane pouvant aller jusqu’à 50 %. La menace n’est pas théorique : Trump l’a répétée, avec son sens habituel de la mise en scène, en visant nommément certains pays. L’Espagne notamment, dont le Premier ministre a refusé l’objectif des 5 % au sommet de La Haye : Trump a promis de “leur faire payer deux fois plus cher”. Comment ? Mystère. Mais la menace est là.
Prise dans ce bras de fer, l’Europe tente de gagner du temps. Ursula von der Leyen mène les discussions, sans savoir jusqu’où elle peut aller. L’Allemagne veut sauver son industrie automobile, la Belgique appelle au calme, et certains États membres mettent en garde : il ne faut pas signer un accord à tout prix. En interne, la Commission cherche une formule : un accord de principe, peut-être, avec des détails renvoyés à plus tard. On pourrait lever certains obstacles non tarifaires, offrir quelques promesses d’achat de gaz liquéfié américain… En espérant que cela suffise à apaiser le président américain.
Mais dans cette négociation, les Européens n’ont qu’un pouvoir de manœuvre très limité. Leur partenaire — ou adversaire — ne dévoile pas ses intentions : les États-Unis n’ont encore rien mis sur la table. Pas d’offre officielle, pas de lettre, pas de document de travail à amender. Juste des déclarations et des menaces. Mais ces menaces suffisent pour que les Européens tentent de se coordonner et de chercher une sortie de crise. Le sommet européen de Bruxelles, hier soir, en est une nouvelle preuve. On y a parlé défense, soutien à l’Ukraine, sanctions contre la Russie — mais toujours avec l’ombre américaine en toile de fond. Les sanctions ont bien été prolongées, de justesse, malgré les résistances de la Hongrie et de la Slovaquie. Mais un nouveau paquet a été bloqué.
En face, donc, Donald Trump avance, bouscule, provoque. Ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est qu’aujourd’hui, il semble réussir. Non seulement à imposer ses priorités — les 5 % de l’OTAN, le gaz, le commerce — mais aussi à diviser l’Europe. À l’Est, on veut aller plus vite. À l’Ouest, on hésite. Au Sud, on s’inquiète des représailles. Et au Nord, on appelle à plus de rigueur. Donald Trump, que l’on caricaturait en cow-boy, est devenu le shérif. Et l’Union européenne, faute de cap clair et de ligne commune, tente juste d’éviter qu’une balle mortelle ne l’atteigne en plein cœur.
Fabrice Grosfilley





