L’édito de Fabrice Grosfilley : colère existentielle

Des panneaux démontés, du mobilier urbain abimé et même une intervention de  la police. La contestation du plan Good Move à Schaerbeek a pris une tournure sportive hier soir. Des méthodes radicales, qui posent de sérieuses questions sur ce qui se passe dans nos quartiers.

Ce mardi, allée Stevenson et place Pavillon ils sont donc une petite centaine d’opposant à protester contre l’implémentation d’une nouvelle maille dans ce quartier qu’on appelle la cage aux ours. C’est la nuit tombée on abaisse les capuches pour ne pas être reconnu, on tague les sens interdit, on déboite les poteaux du filtre de circulation, on retire les barrières et les interdictions de stationner.  A la fin de la manif toutes les installations du plan Good Move ont été démontés.

Alors on ne  nie pas que le plan Good Move fasse des mécontents et que ces mécontents aient le droit de s’exprimer. Une manifestation est quelque chose de tout à fait tolérable dans une démocratie comme la Belgique. Mais ici on parle d’autre chose. On parle de quelques dizaines de personnes qui défont ce que les autorités politiques ont décidé de mettre en place. Une voie de fait, une dégradation de l’espace public, la volonté délibérée de contrarier une décision politique par une manifestation de rue.

Qu’on le veuille ou non le plan  de mobilité  est bien le fruit d’une décision démocratique. Un plan lancé il y a deux législatures, porté par deux  gouvernements successifs, implémenté par des conseils communaux et des échevins qui ont bien la légitimité pour le faire. Vouloir physiquement s’y opposer,  démonter le travail des agents communaux, affronter les policiers venu maintenir l’ordre c’est jouer la loi de la rue contre le processus démocratique. Qu’il y ait des partis qui aient dans leur ADN historique de favoriser la colère et la prise de pouvoir par la violence  n’est peut être pas une surprise. Que des gens qui se disent  démocrates partagent le même discours ressemble à une coalition fortement contre nature.

Qu’on s’entende  bien. La colère est permise. La volonté de se faire entendre est bienvenue. Être écouté est légitime, et savoir que vos problèmes sont pris en considération est normal. Tout cela peut passer par un échange d’arguments. Quand on quitte le débat d’idée  pour se donner physiquement raison, on sort du processus démocratique. Dans ce cas il y a deux option : soit on a affaire à un pouvoir tyrannique et autoritaire, soit on s’arroge des droits qu’on a pas. En Démocratie l’usage de la force doit rester le monopole des forces de l’ordre.

Hier soir à la cage aux ours il y avait une certaine mauvaise foi, à décréter que le plan installé était d’ores et déjà une catastrophe et qu’il fallait le démonter d’urgence. En une journée, on  a évidemment  pas eu le temps de le tester ce plan.  Cela s’appelle donc une opposition de principe, et elle est très politique/ .

Ces méthodes de contestation violente, ne sont pas sans rappeler le mouvement des gilets jaunes qui a secoué la France il y a quelques années.   Pour les gilets jaunes, la taxation des carburants et les  limitations de vitesse sur les routes nationales  étaient au déclenchement de la colère. Pour les bruxellois c’est good move, mais dans les deux cas on retrouve  le même attachement à la voiture individuelle comme seul moyen de mobilité digne d’être défendu.  Avec le même rejet des élites, de la classe politique et des médias.

Ce qui se passe dans les rues de Bruxelles c’est donc bien plus que la contestation de Good Move. C’est l’expression d’une colère existentielle. Il serait sain que ceux qui n’ont pas de raison de la partager ne soufflent pas sur les braises,  d’un incendie ou ils ont peut-être plus à perdre qu’il n’y pensent. Et que ceux qui ont l’honneur d’être aux responsabilités prennent le temps d’écouter et de comprendre ceux qui ne pensent pas comme eux.   Et qu’on essaye collectivement de retrouver le sens de l’écoute, de la mesure et du compromis. Qu’on soit contre Good Move , ou qu’on soit pour, nous sommes tous bruxellois. Et nous n’avons pas d’autre solution que de vivre ensemble.