L’édito de Fabrice Grosfilley : bilan de campagne

Voilà, nous y sommes, nous arrivons aux termes de cette campagne électorale. Derniers débats à la télévision, dernières interviews à la radio, dernière distribution de tracts et poignées de main sur les marchés, et dimanche, la parole sera donc donnée aux citoyens. Que retenir de cette campagne ? À Bruxelles comme ailleurs, elle aura été une nouvelle fois relativement agressive. Avec des polémiques, c’est vrai, mais peut-être pas autant que dans le passé. Avec l’irruption aussi de méthodes de communication nouvelles. De nombreux messages passent désormais par WhatsApp ou par les applications de messageries. Ces messages, qui passent directement d’un téléphone à l’autre, s’additionnent donc à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, visible par tout le monde, et à ce qui s’est aussi ouvertement débattu dans les médias. C’est donc un canal d’échange supplémentaire, qui ne se substitue pas aux autres, mais qui s’y additionne, et qui rend sans doute encore un peu plus complexe l’analyse de ce qui se dit et de l’impact que cela peut avoir sur les électeurs.

On soulignera que sur les réseaux sociaux, comme dans ces groupes WhatsApp, on a affaire à une communication directe des candidats ou de leurs supporters. Une communication de parti pris, avec les risques d’exagération ou de communication tronquée qui y sont liés. C’est très différent de ce qui se passe au sein des médias traditionnels, où la présence d’un journaliste garantit une forme d’équilibre entre les formations politiques, et aussi une obligation de rectification lorsque des arguments contraires à la vérité sont avancés.

On ne le dira jamais assez : la déontologie journalistique, qui nous impose d’être indépendants des partis politiques et de séparer le vrai du faux, est la garantie d’un débat démocratique équitable. Ce n’est pas toujours parfait, mais c’est indispensable à un exercice correct de la démocratie. Quand on remplace les médias traditionnels par des groupes WhatsApp, on se dirige clairement vers une trumpisation du débat politique. Ce n’est plus de l’information qui s’échange, c’est de la passion. La passion a des bons côtés, elle permet d’être énergique et enthousiaste. Poussée à l’extrême, elle en a aussi des moins bons : elle nous empêche d’écouter les arguments qui ne vont pas dans le sens que nous souhaitons, et elle nous incite à rejeter, voire à diaboliser, ceux qui ne pensent pas comme nous.

Que retenir d’autre de cette campagne ? Que deux thèmes principaux se sont imposés en Région bruxelloise : celui de la sécurité avec les fusillades que nous avons connues ces derniers mois, et celui de la mobilité avec tout le débat autour de Good Move. Avec parfois des tournures irrationnelles et des clivages très marqués. On rappellera que la responsabilité de la sécurité est partagée entre les communes, la région et le fédéral. Que quand on parle de grand banditisme ou de trafic de drogue à grande échelle, c’est surtout le fédéral qui est aux manettes. La difficulté pour l’électeur bruxellois, est que ni la ministre de l’Intérieur ni le ministre de la Justice ne se présentent à Bruxelles, il est donc impossible de les sanctionner positivement ou négativement pour leur politique.

Pour la mobilité, le plan Good Move a été fortement critiqué dans certains quartiers, c’est un euphémisme. Il ne faudrait pas oublier malgré tout que ce plan pour 10 ans avait en réalité été lancé à la fin de la législature précédente, ce n’est donc pas une invention d’Elke Van den Brandt, la ministre de la Mobilité sortante. Qu’à l’époque, tous les partis, y compris ceux de l’opposition, étaient en accord avec la vision proposée, et que ce plan comprend une trentaine de mesures. Good Move, ce n’est pas que les plans de circulation qui ont fait débat, c’est aussi la ville 30 par exemple. On a également un peu parlé dans cette campagne de neutralité, avec le débat rituel sur le port du foulard, c’est une constante du débat bruxellois. La question du Proche-Orient a également été très présente. On notera que d’autres thèmes comme la poursuite du Métro 3 ou la politique de logement ont aussi été abordés, mais qu’ils ne sont pas parvenus à s’imposer comme des thématiques centrales.

À titre personnel, ce qui m’aura frappé en tant que journaliste, c’est aussi la prise de conscience de la classe politique bruxelloise des difficultés budgétaires qui nous attendent. Bien sûr, on ne fait pas campagne sur le budget. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus attrayant et ce ne sont pas toujours de bonnes nouvelles. Mais tout le monde semble avoir clairement pris la mesure d’une région bruxelloise qui n’a peut-être pas les moyens de ses ambitions. On peut promettre beaucoup de choses aux électeurs, mais la réalité, c’est que les caisses sont vides. Pour développer de nouvelles politiques, il va falloir renoncer à des choses qui sont déjà en place, et ça, les partis n’osent pas vraiment le dire. À moins que la Région bruxelloise n’obtienne dans le cadre d’une nouvelle réforme de l’État de nouvelles formes de financement. Ce ne serait pas illogique, puisque Bruxelles produit toujours beaucoup de richesses qui sont ensuite redistribuées en Flandre et en Wallonie, mais ce serait se poser en position de demandeurs, et surtout illustrer une fois de plus que la Région reste très dépendante de ce qui se passe à d’autres niveaux de pouvoir. Bruxelles n’est pas une île, on a parfois tendance à l’oublier. Nous avons une certaine autonomie, mais nous n’avons pas une complète indépendance. Il y a beaucoup de politiques où la réalité bruxelloise dépend de ce qui se décide au fédéral ou même en Flandre ou en Wallonie.

Enfin, un dernier constat. J’entends souvent dire que voter ne servirait à rien, que ce sont toujours les mêmes au pouvoir, que les partis s’arrangent entre eux après l’élection. C’est faux. Il y aura évidemment des tractations entre partis après les élections, et les gouvernements de coalition forcent à faire des compromis. C’est notre système de vote à la proportionnelle qui veut ça. Mais savoir quel parti sera en tête et pourra avoir la main pour lancer les négociations et revendiquer la ministre-présidence,  cela dépend directement de l’électeur. Et même pour les coalitions, il y en aura qui seront mathématiquement possibles et d’autres qui ne le seront pas. Des partis qui seront contournables et d’autres qui ne le seront pas. Votre voix compte, et il faudrait cesser de croire ceux qui affirment le contraire.

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07 juin 2024 - 10h56
Modifié le 07 juin 2024 - 10h56