L’édito de Fabrice Grosfilley : au cœur de la campagne

Dans son édito de ce jeudi 8 février, Fabrice Grosfilley revient sur la présence des questions socio-économiques dans les (futurs) programmes électoraux.

C’est un retour aux fondamentaux. Le salaire, le pouvoir d’achat, le travail, la rémunératoire, la fiscalité. Depuis quelques jours, on sent bien que les partis politiques sont en train de peaufiner leurs propositions sur le terrain socio-économique. Il y a eu ce congrès sur le travail du Mouvement Réformateur le weekend dernier. Il y a désormais aussi les propositions du Parti Socialiste en matière de rémunération des salariés. Officiellement, elles ne seront adoptées que dans une dizaine de jours lors d’un congrès, mais le journal l’Echo en épingle déjà une ce matin : la proposition de porter le salaire minimum de 2.000 à 2.800 euros brut. 800 euros d’augmentation, la mesure est forte. Le Parti Socialiste la justifie en partie en se retranchant derrière une recommandation de l’Union européenne : faire en sorte que les salaires minimum dans les pays de l’Union représentent 60 % du salaire médian. Le salaire médian, c’est celui qui se trouve au milieu de la pyramide des salaires. La moitié des Belges gagnent plus, l’autre gagne moins. Ce salaire médian tourne autour de 3.500 euros. Il faut donc que le salaire minimum soit de 2.800 euros. Cette proposition aligne finalement le PS sur le programme du PTB. Et le Parti Socialiste va même plus loin en proposant un mécanisme d’augmentation automatique. Un mécanisme qui serait supérieur à l’indexation automatique pour permettre au salaire minimum de ne plus se faire décrocher. On sait que les bas salaires augmentent moins vite que la moyenne des salaires, ce qui a tendance à toujours accentuer plus les écarts salariaux.

Cette mesure est de nature à faire hurler les entreprises. Ce n’est pas tellement pour le montant que cela représente. Le salaire minimum concerne assez peu de salariés, 65 000 environ. C’est un peu  plus de 3 % des travailleurs. Mais on sait qu’augmenter le salaire minimum a un effet mécanique qui se reportera sur d’autres bas salaires. Attaquer la pyramide des salaires par le bas, c’est enclencher un effet domino qui profitera à tous les salariés à terme. L’effet inverse de ce que recherchent les entreprises, qui veulent justement revoir l’indexation automatique des salaires, en estimant que cela pèse sur la compétitivité des entreprises qui seraient handicapées par rapport à leurs concurrentes françaises ou allemandes, par exemple. On voit que l’on est ici dans deux projets antagonistes. Entre la vision des entreprises, souvent relayée par les partis libéraux, et la vision des partis de gauche, plus proches des combats syndicaux. C’est le choc des idées. Choc qui sera d’autant plus violent que le PS ne s’arrête pas à la hausse du salaire minimum : il demande également une augmentation de 300 euros pour les bas et moyens salaires par le biais de la fiscalité. Il est probable qu’à la Fédération des Entreprises de Belgique, on ait avalé son café de travers en lisant le journal ce matin.

Il faut relativiser. C’est un programme électoral, pas encore une décision, juste une proposition, mais elle indique sans doute ce que sera la matrice de cette campagne. Les questions de pouvoirs d’achat sont centrales pour l’opinion et les commentateurs ont parfois tendance à l’oublier.  Très souvent en politique, on parle d’institutions : faut-il régionaliser des compétences ? quel est le degré d’autonomie que la Flandre peut revendiquer sans que le pays n’éclate ? quelles sont les compensations que les Francophones peuvent obtenir en échange ? On parle beaucoup de budget aussi  : comment ramener l’endettement à un niveau raisonnable, équilibrer les comptes de la sécurité sociale ? faut-il pour cela revoir l’âge de départ à la pension ? comment gérer la part de plus en plus importante de salariés qui sont en congés maladie ? On a une attention à la compétitivité des entreprises, comment les aider à investir dans la recherche ou à trouver des débouchés à l’exportation ? Parfois, on parle de mobilité. Et puis, très souvent, on est distrait par les questions de personnes. Est-ce que Bart veut parler avec Paul ?   Georges-Louis peut-il faire alliance avec Maxime ? Ou, pour la Région bruxelloise, quel sera le score d’Hadja ? Zakia s’entend-elle avec Ahmed, Bernard et Elke ? Ont-ils envie de gouverner ensemble, etc.

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Ces questions de personnes, il ne faut pas en minimiser l’importance. L’électeur vote aussi pour des personnalités, pour ce qu’elles incarnent. Les personnalités connues portent des valeurs, elles développent des stratégies ou prennent des décisions auxquelles leur image personnelle sera associée. On s’identifie ou on rejette. C’est un des critères de choix de l’électeur. C’est pour cela que les Belges sont attachés aux voix de préférence, cette possibilité de choisir une personnalité plutôt qu’une autre (et qui n’existe pas en France par exemple). C’est pour cela aussi que les partis prennent tant de soin à mettre le bon candidat à la bonne place sur la bonne liste. On en a eu la démonstration ces derniers jours avec la confection des listes libérales, où l’affaire est loin d’être close. Youssef Handichi sera-t-il accueilli ou pas ?  Sophie Wilmès sera-t-elle candidate à la Chambre comme prévu, ou montera-t-elle finalement à la première place pour le Parlement européen (ce qui lui permettrait de mener campagne en Wallonie aussi) ? Si c’est la seconde option qui est retenue, qui sera tête de liste à la Chambre ? Hadja Lahbib restera-t-elle bien sur la liste régionale ? L’effet domino du retrait de Charles Michel commence à ressembler à une réaction en chaine dont les meilleurs chimistes en équilibre politique ont du mal à prévoir la fin.

Il n’empêche : le cœur de l’élection, ce sont les programmes. Parler de salaire, de pouvoir d’achat, de cadre de vie, de concret : c’est finalement cela qu’attend l’électeur. Et c’est peut-être ce qu’on perd parfois un peu de vue quand les querelles de personnes effacent tout le reste ou quand les négociations gouvernementales font qu’on s’éloigne un peu trop des promesses de campagne qui finissent par ressembler à un vague souvenir qu’on aura jamais été en mesure de concrétiser. Pouvoir remettre notre vie de tous les jours au cœur du débat politique est le moyen le plus efficace pour rapprocher la politique du citoyen.

Fabrice Grosfilley

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08 février 2024 - 11h56
Modifié le 08 février 2024 - 11h56