L’édito de Fabrice Grosfilley : atermoiements

Dans son édito de ce mercredi 27 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur la formation du gouvernement bruxellois.

Atermoiement. Ce terme désigne le fait de différer une action ou une décision, de la remettre à plus tard alors qu’il faudrait l’exécuter sur-le-champ. Une tergiversation impliquant l’idée d’un nouveau délai. L’atermoiement est à l’origine un terme de droit commercial, qui désigne l’octroi d’un nouveau délai pour le paiement d’une créance. Atermoiement : c’est le mot qui me vient à l’esprit pour qualifier l’action des hommes et des femmes politiques de la Région bruxelloise, qui repoussent sans cesse le coup d’envoi des négociations pour former la prochaine majorité régionale. Dernier exemple en date : la question d’ouvrir ou non des négociations avec la N-VA.

Hier matin, la diffusion d’une note de cadrage déposée par Elke Van den Brandt dans le cadre des discussions internes au collège néerlandophone a renforcé ce sentiment qu’à la Région les négociations ne démarrent jamais vraiment. Il semble toujours y avoir une bonne raison de repousser la discussion : les conditions ne sont pas réunies, les partenaires ne sont pas suffisamment enclins à s’asseoir ensemble autour de la table.

Cette note, qui n’était qu’un premier document de travail, prévoyait notamment de fusionner les zones de police – une idée souvent évoquée et soutenue par tous les partis flamands. Mais surtout, elle proposait de fusionner les CPAS et les communes de la Région bruxelloise. Faire disparaître les communes pour les remplacer par des districts : c’est le modèle d’Anvers. L’idée serait donc de créer une seule commune pour toute la région, une centralisation du pouvoir politique que ses partisans promettent plus économe et plus efficace, laissant aux districts, c’est-à-dire aux anciennes communes, un simple rôle administratif. Outre cette fusion, la note proposait aussi de relancer le projet SmartMove (la taxation automobile au kilomètre), de décourager l’usage des gros SUV, d’encadrer les loyers et de sanctuariser une série d’espaces verts, comme le marais du Wiels, la friche Josaphat, le Champ des Cailles ou le site du Donderberg. Il ne serait donc plus possible d’y bâtir à l’avenir, y compris pour des logements, comme le prévoit pourtant la SLRB (Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale).

Si vous suivez attentivement la politique bruxelloise, vous aurez noté que ces propositions entrent en contradiction frontale avec les intérêts du Parti Socialiste, qui refuse le projet SmartMove et tient à développer la construction de logements. Sans surprise, dès la divulgation publique de la note, le PS est monté au créneau. « Un retour en arrière communautaire, une note taillée sur mesure pour la N-VA, qui exclurait de facto le Parti Socialiste », a précisé Ridouane Chahid dans une réaction pour La Libre Belgique.

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Du côté du MR et des Engagés, la réaction a été plus mesurée, soulignant qu’il ne s’agissait que d’un document de travail. Ils ont insisté sur l’importance de se retrouver autour de la table pour négocier, tout en rappelant que les francophones n’étaient pas d’accord avec la plupart des propositions néerlandophones.  Cieltje Van Achter, négociatrice de la N-VA, et qui exprimait hier dans notre studio son incompréhension face au veto du PS ne dit pas autre chose quand elle appelle à dépasser ces blocages et à entamer enfin des discussions.

Si l’atermoiement perdure, c’est aussi parce que la cohabitation avec la N-VA ne va pas de soi côté francophone. Même certains partis flamands, bien qu’ils ne le disent pas publiquement, ne placent pas les nationalistes flamands en tête de leurs préférences. Le PS – et sans doute d’autres acteurs – espère toujours former une majorité avec le CD&V, qui refuse pour l’instant toute ouverture. Mais comme on le sait, en politique belge, un « non » n’est jamais définitivement définitif. On continue donc à tergiverser, piste après piste, exclusive après exclusive. La N-VA, le CD&V, la Team Fouad Ahidar… On n’en finit pas de fermer une porte pour en rouvrir une autre et recommencer. Ce n’est plus une formation de gouvernement, c’est un vaudeville, où deux pas en arrière succèdent toujours à un pas en avant.

Pourtant, l’annonce récente de l’Open VLD, prêt à soutenir une majorité en se contentant d’un poste de commissaire du gouvernement, semblait une ouverture qui aurait enfin pu débloquer les négociations. Mais le quasi-veto du PS a rapidement douché cet espoir. Ridouane Chahid hier, Martin Casier quelques jours plus tôt : les ténors socialistes bruxellois répètent leur refus catégorique de s’allier avec la N-VA. À noter que le président de la fédération bruxelloise du PS, Ahmed Laaouej, ne s’est pas exprimé personnellement ces derniers jours. Il semble laisser ses lieutenants monter au front, comme s’il gardait pour lui une petite porte de sortie ouverte.

Le PS est dans une position délicate, et clairement sous pression. Côté pile, en refusant de négocier avec la N-VA, il apparaît comme le facteur de blocage, le fameux valet noir qui fait capoter les discussions – une posture rarement favorable. Mais en même temps, côté face, il se profile comme le défenseur des intérêts francophones, reprenant un combat autrefois porté par DéFI, et soulignant sa différence avec les Engagés et le MR, qui ne s’opposeraient pas aussi catégoriquement aux projets des nationalistes flamands. Maintenir le veto ou l’abandonner ? Les deux options ont leurs avantages et leurs inconvénients. En attendant, faute de choix clair ou dans l’espoir d’un développement imprévu, l’atermoiement reste la voie privilégiée.

Fabrice Grosfilley