L’édito de Fabrice Grosfilley : agir à court terme, débattre du long terme

C’est un durcissement indéniable auquel bourgmestres et policiers sont en train de se préparer (et de nous préparer). Dans les jours ou les semaines à venir, une série de mesures entreront progressivement en application dans les fameux “hot spots”, ces zones sensibles où le commerce de la drogue est une réalité quotidienne. Occuper le terrain avec des policiers très présents, mettre du bleu dans les rues comme on dit, harceler le dealer mais aussi faire peur au consommateur, ce sont les recettes envisagées à ce stade par les autorités.

Ces annonces qui deviendront une réalité concrète dans les prochains jours méritent pourtant qu’on en débatte. La réaction des autorités étaient attendue et souhaitée. Le rythme des fusillades ne pouvait pas rester sans réaction. Aucun policier ni magistrat ne peut se satisfaire de voir le trafic de drogue prendre ses aises dans les rues de Bruxelles. Aucun élu ne peut envisager que la situation ne dégénère au point qu’on craigne que les règlements de compte ne débouchent sur la mort innocente d’un riverain ou d’un passant qui serait touché d’une balle perdue. Aucun Bruxellois ne peut se satisfaire de voir ces points de deal devenir des zones de souffrance et d’angoisse pour ceux qui y habitent ou doivent la traverser tous les jours. Les appels à l’aide lancés à plusieurs reprises par les comités de quartiers sont des appels à l’action, c’est le rôle des autorités politiques policières et judiciaires de pouvoir y répondre.

Le débat ne doit donc pas porter sur l’opportunité de la réponse. Il doit y avoir une réponse, si on ne veut pas que Bruxelles ne ressemble réellement à Marseille, Catane ou Chicago pour rependre des clichés de villes où les autorités ont pu par moment sembler dépassées par les organisations criminelles (on précise bien qu’il s’agit de clichés de notre inconscient collectif, on ne se compare pas à ces villes-là). Non, le débat doit plutôt porter sur la forme de la réponse, sur les méthodes utilisées, sur leur proportionnalité et sur leur maintien dans le temps.

Ce qui se prépare dans certains quartiers de Bruxelles ressemble en effet à l’instauration d’un “état d’exception”. Des zones où les contrôles d’identités seront systématiques, des individus, certes déjà connus défavorablement des services comme on dit, priés de ne plus s’y trouver, des interdictions de rassemblement ou des interdictions de circuler pour les zones les plus sensibles. L’obligation dans certains périmètres de prouver qu’on a de bonnes raisons de s’y trouver, parce qu’on rentre chez soi par exemple. Sinon, circulez il n’y a rien à voir, ou pire, montez votre pièce d’identité que je vous dresse un PV. Les bourgmestres se préparent donc à mettre sous cloche certains quartiers. S’y trouver demain serait par nature suspect. Ces mesures vont à l’évidence à l’encontre d’une liberté fondamentale qui est celle d’aller et venir sans devoir rendre de compte sur nos déplacements. Cet état d’exception, il est peut être légitime aujourd’hui vu la situation. Cela ne doit pas nous empêcher de nous poser la question de savoir si cette réponse est réellement proportionnée, de se demander si elle sera réellement efficace et surtout de savoir combien de temps il faudra la maintenir.

Ces derniers jours on doit bien constater une certaine tension entre les grands principes et les décisions de terrain. Les grands principes, souvent répétés : savoir que la répression et la manière forte ne suffisent pas à endiguer le trafic de drogue, que la prohibition renforce les groupes mafieux. Que pour lutter contre le trafic de drogue il faut surtout investir sur le suivi social et médical, mettre en place des campagnes de prévention. Nos élus d’ailleurs vantent régulièrement le “modèle portugais” qui repose sur une stratégie de dépénalisation de la consommation. Et ils étaient plutôt jusqu’à présent perplexes vis-à-vis du modèle français ou l’on voit des compagnies de CRS prendre le contrôle des cités de banlieue, y rester quelques jours ou quelques semaines pour une opération de grand nettoyage, avant de passer à la cité suivante. Cela c’est donc pour les grands principes. Du coté des décisions de terrain nous sommes finalement en train d’opter pour la solution française à défaut d’avoir pu lancer la stratégie portugaise. Jouer l’épreuve de force, boucler les quartiers sensibles, verbaliser les consommateurs. C’est ça qui mérite sans doute un débat. Et même si l’urgence ne laisse sans doute pas d’autres choix que d’agir vite et fort maintenant, il faut aussi que les élus, les spécialistes qui connaissent ces dossiers, les professionnels de la sécurité et nous aussi, les citoyens, commencions à penser au coup d’après. Ne pas nous enfermer dans une gestion à la petite semaine et qu’on ne considère surtout pas que c’est juste en donnant un grand coup pied dans la fourmilière (ou dans le tas de cocaïne) que la drogue va disparaitre.

Fabrice Grosfilley