Le scandale total, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce jeudi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito la pénurie de carburant en France.

Des bagarres, des files à n’en plus finir, des automobilistes qui risquent la panne sèche à tout moment. Ce sont les images qui viennent de France.  Où les raffineries du groupe Total sont quasiment à l’arrêt. 

Ces images, vous les avez sûrement vues, à la télévision, sur les réseaux sociaux ou dans vos journaux. Elles sont particulièrement spectaculaires. Les automobilistes qui en viennent à se battre pour quelques dizaines de litres de sans-plomb, c’est une situation qu’on n’aurait pas imaginé dans un pays européen. En cause une grève du personnel, qui réclame des augmentations de salaires et ne les obtient pas. Sur les huit raffineries que possède le groupe Total en France, il y en a désormais six qui sont paralysées par ce mouvement de grève.

Ce conflit social, ce n’est pas une grève anodine. D’abord parce que toucher à la mobilité d’un pays, c’est perturber son économie. Ce qui se passe chez Total va avoir des répercussions en chaîne, sur les transporteurs, les entreprises… On voit que cela a un impact social très important. Et puis surtout le mouvement est en train de s’étendre.  Il est en train de monter dans le nucléaire. Huit réacteurs français sont dorénavant à l’arrêt pour cause de grève. On rappelle au total que ce sont quand même 32 réacteurs qui sont en ce moment à l’arrêt en France, c’est la moitié du parc. 

Essence et gaz d’un côté, électricité de l’autre, Total et EDF ont en commun d’être deux entreprises du secteur de l’énergie. Et surtout deux entreprises qui ont, ces derniers mois, pu faire de plantureux bénéfices. Alors que leurs travailleurs, eux, comme tous les Français, constataient la hausse du coût de la vie. Pour total, le bénéfice a doublé au premier semestre 2022. Il a dépassé les 10 milliards d’euros. Et pourtant quand la grève a commencé, c’était le 27 septembre dans la raffinerie du Havre, la direction a refusé de négocier avec les syndicats. Pire que cela, le même jour, le 27 septembre, Total énergie a annoncé qu’elle allait verser 2 milliards 600 millions de dividendes exceptionnels à ses actionnaires. 

Hier soir à la télévision française, Emmanuel Macron qui intervenait à la télévision française a estimé que le dialogue social était toujours possible, et que chacun devait” prendre ses responsabilités” manière de renvoyer les partenaires sociaux dos à dos. Son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a été un peu plus insistant à la radio ce matin en estimant que Total Énergie avait “la capacité et donc le devoir d’augmenter les salaires.” Et finalement, le gouvernement français a indiqué sa décision de réquisitionner le personnel de la raffinerie de Dunkerque, une décision que le syndicat CGT qualifie de scandaleuse.  

Bien sûr, la France, ce n’est pas la Belgique. Il y a justement chez nous un mécanisme d’indexation automatique des salaires qui permet d’éviter à la marmite sociale de bouillir trop fort. Mais ce qui se passe en France doit être vécu comme un avertissement. Oui, le risque de mouvements sociaux existe. Et aussi, nous sommes très dépendants de l’énergie dans de très nombreuses activités, une économie sans énergie, c’est une énergie qui risque l’encéphalogramme plat. Et oui, les entreprises énergétiques, que ce soit dans le domaine des carburants fossiles ou dans le domaine de l’électricité, ont réalisé ces derniers mois des bénéfices qui dépassent l’entendement. Il faut vraiment avoir peu de sens social ou politique pour ne juger pas normal d’aller les redistribuer. 

Petit rappel historique pour conclure : en France, en mai 68, tout le pays était bloqué. Neuf millions de personnes en grève, là non plus les pompes à service n’étaient plus ravitaillées.  Quand le 31 mai 1968, l’essence est revenue, notamment à Paris, le mouvement de Mai 68 a commencé à décliner. 54 ans plus tard la comparaison a ses limites, il n’y a pas de mouvement étudiant. Mais il n’est pas exclu que la France doive affronter un mai 68 à l’envers : d’abord la pénurie d’essence et ensuite les mouvements sociaux.

■ Un édito de Fabrice Grosfilley

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13 octobre 2022 - 18h34
Modifié le 13 octobre 2022 - 18h34