Horeca : La vente à emporter ? « Une question de survie ! »

Si le phénomène avait commencé à se développer pendant le premier confinement, il s’est nettement amplifié avec le deuxième : la vente à emporter est devenue pour beaucoup de restaurants l’unique moyen de garder la tête hors de l’eau. Avec toutefois son lot de difficultés, et de déceptions. 

Dans la petite salle vide de son restaurant, Frédéric Bertels nous montre comment il a poussé tables et chaises pour organiser le service à emporter. Patron depuis cinq ans du Fruit défendu, une adresse ixelloise bien implantée dans le quartier, il a dû s’atteler à développer le concept avec le reconfinement. Pas le choix. « Lors du premier confinement, j’ai fermé complètement. Mais le 2e confinement nous fait très mal. Cette fois, on a dû s’y mettre. C’est une question de survie. » Cela ne remplacera jamais le chiffre d’affaire habituel mais cela permet de payer le loyer et les factures. « On ne fera pas de bénéfice mais on ne perdra sans doute pas d’argent. Et c’est déjà beaucoup. » Et puis cela permet de continuer à travailler, et à garder le contact avec les clients, c’est essentiel, poursuit-il, louant la solidarité et la fidélité dont certains font preuve.

Pour autant, pas facile de s’improviser traiteur. « C’est un nouveau métier ! On doit apprendre. On a dû s’équiper, on a tâtonné au début, maintenant, ça commence à aller.» Pour y arriver, Frédéric Bertels a dû momentanément se séparer d’une partie de son personnel, passé au chômage temporaire, pour ne garder que le chef. Ils font équipe à deux, pour assurer une quarantaine de menus par semaine. En temps normal, c’est le nombre de menus servis en une journée un vendredi ou un samedi. « Mais quand on n’est pas connu pour le take away, il faut se faire connaître, se constituer un réseau, développer sa communication, sa présence sur les réseaux sociaux. » Bref, trouver sa place sur un terrain devenu très concurrentiel.

Le poids de la concurrence

Car le take-away a connu un essor sans précédent avec le deuxième confinement. Sophie Pereira, à la tête de Prélude, une cantine saint-gilloise habituellement très fréquentée à l’heure du déjeuner, en a été témoin. Au printemps dernier, après un mois et demi de fermeture, elle décide de tenter la vente à emporter, pour ne pas couler. L’initiative prend. Mais aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile. « Lors du premier confinement, beaucoup avaient préféré ne pas se lancer. Cette fois, on est beaucoup plus nombreux, la concurrence est beaucoup plus rude », constate-t-elle. L’expérience du premier confinement l’aide, mais le plus épuisant c’est l’énergie que demande la communication. « Un boulot énorme ! Car ce n’est pas notre métier. » Au final, Sophie Pereira, parvient à réaliser la moitié de son chiffre d’affaire habituel, avec 30 menus par jours, contre 60 en temps normal.

La vente à emporter ne marche pas pour tout le monde, relève Philippe Trine, le président de la fédération Horeca Bruxelles. Certains ont essayé et se sont cassés les dents. En raison d’un manque de personnel, ou parce que leur situation financière ne le permettait pas, malgré les aides publiques, comme le droit passerelle, ou les primes régionales ou communales. Et de pointer lui aussi la concurrence devenue beaucoup plus rude en plus de la restauration déjà active depuis longtemps dans la vente à emporter (pizzeria, burger, fast-food, etc). Mais aussi les exigences liées à cette nouvelle manière de travailler : aménagement, organisation, type de menu proposé, conservation des produits, présentation, emballage, etc. Sans disposer encore de chiffres ou de données précis, il estime à ce stade, qu’environ 20 % des restaurants auraient adopté le take-away. « Avant le confinement, le chiffre d’affaire global provenant de la vente à emporter dans l’Horeca tournait autour des 2,7%. On est à 6% aujourd’hui.», ajoute-t-il.

Les livraisons, le coût de trop

Dans ce restaurant libanais de Saint-Gilles, souvent bondé pendant l’heure du midi, « on travaille beaucoup plus, pour gagner beaucoup moins », nous explique le patron. Ses employés sont au chômage temporaire. Ils sont trois aujourd’hui pour faire tourner la boutique. Habitué de la vente à emporter, avec un service traiteur bien développé, le patron a vu la demande chuter avec la généralisation du télétravail et la mise à l’arrêt de l’événementiel, une part importante de ses ressources. Et surtout les livraisons compliquent l’organisation : les plateformes de livraison comme Uber Eats ou Deliveroo prennent en moyenne une commission de 30% par course. « Impayable ! » Alors il faut se débrouiller, ce qui pour les petites équipes n’est pas facile. Même son de cloche du côté de Frédéric Bertels : les livraisons, il les assure lui-même. « Les plateformes sont beaucoup trop chères pour une petite production comme la nôtre. » Les marges sont trop étroites. Et dans le métier, ils et elles sont nombreux à dénoncer ces pratiques. Annick Van Overstraeten, patronne du Pain quotidien ne disait pas autre chose dans un podcast du quotidien L’Echo ce mardi : « les sociétés de livraison ne jouent pas le jeu avec les restaurateurs. »

Au Coriandre, restaurant gastronomique situé à Watermael-Boitsfort, on a tout simplement laissé tomber les livraisons. Pour éviter les plateformes. « Mais aussi parce que les assurer nous-même représentait une immense perte de temps à cause des embouteillages.», explique Damien Vanderhoeven, le patron. Et le restaurant s’en sort en proposant ses plats à emporter sur place. Avec son épouse, ils ont relancé le système de take-away qu’ils avaient expérimenté lors du premier confinement. Ils vendent légèrement moins qu’au printemps, mais ils s’en sortent, avec une moyenne de 180 couverts par semaine. «De toute façon, nous n’avons pas le choix. La prime de 3000 euros (prime régionale pour les cafés et restaurants bruxellois. NDLR) ne nous permet pas de tenir si on ne continue pas à travailler.» Grâce à cela, les factures sont payées. « Nous sommes à jour, sans arriéré, c’est l’essentiel ! » Et la cuisine tourne. Résultat : « Dès que ce sera possible, nous sommes prêts à reprendre le service en salle! »

L’avenir? « On s’est sentis abandonnés au premier confinement. Aujourd’hui, on vit au jour le jour. On n’a pas de perspective», répond Sophie Pereira. Avant d’ajouter : « On change de métier, et on se démène pour s’en sortir. »

S.R.

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24 novembre 2020 - 18h54
Modifié le 25 novembre 2020 - 07h01