Hervé Doyen : “Je réinvente mon métier, tout en étant conscient que tout repose sur moi”
Bourgmestre de Jette depuis 22 ans, Hervé Doyen (cdH) rendra son écharpe maïorale à la fin de cette année. Il termine sa carrière en gérant la plus forte crise jamais connue.
Lorsque le coronavirus se propage en Chine, quel est votre état d’esprit?
Je regarde cela avec beaucoup d’intérêt mais cela se passe en Chine. Je suis sidéré par la réaction des autorités chinoises. Cela me saisit mais je ne me dis pas que cela arrivera chez nous. Je pars en Argentine et au Chili pour aller marcher. En revenant, trois jours après, c’est le confinement.
Comment vivez-vous ce premier confinement?
Ce premier confinement me fait penser à l’après-attentat. Le processus est un peu le même. Les bourgmestres se font convoquer par le ministre-président bruxellois et nous comprenons qu’il se passe quelque chose de grave. Cela s’impose à nous, personne ne conteste. La ville est mise en sommeil. Nous sommes devant un ennemi insaisissable. Directement, il faut mettre des processus d’urgence en place. Je réinvente mon métier, tout en étant conscient que tout repose sur moi. Comme bourgmestre, je prends le gouvernail. J’ai créé un comité de sécurité, mobilisé les hauts fonctionnaires. Un vent de panique s’empare d’eux aussi. Je suis très seul dans une administration où il n’y a plus personne. Il fait très beau et j’ai un sentiment absolu de solitude. Heureusement, nous avons des contacts très réguliers entre bourgmestres. Une solidarité d’esprit s’installe pour sortir la tête de l’eau. Cette pression, il faut la gérer. J’ai un tempérament de chef scout. Je suis très opérationnel. C’était presque excitant et je n’ai jamais douté.
Pensez-vous que la relation entre le bourgmestre et les citoyens a changé?
J’ai eu beaucoup de signes d’encouragement en tout cas. On me dit qu’à Jette, on ne s’est pas senti abandonné. Très vite par exemple, j’ai deviné que les masques n’allaient pas arriver. La commune a fait des petits marchés publics pour pouvoir agir dans l’urgence en évitant de lourdes procédures. Nous avons distribué les masques avec les fonctionnaires. Il y avait une guerre des masques, clairement. Le flux était tellement tendu qu’il a fallu faire preuve de créativité. J’avais fait mon service militaire comme objecteur de conscience et mon chef infirmier de l’époque m’a appelé pour me donner ses filières pour les masques. Nous les avons eus rapidement alors que les masques fédéraux étaient toujours dans les caves. Il y a eu pas mal de soucis d’intendance dans les pouvoirs de tutelle. Tout a mis du temps à arriver.
La maison de repos de votre CPAS a été durement touchée lors de la première vague. Avez-vous le sentiment que les maisons de repos ont été abandonnées?
J’ai recueilli les confessions de la cheffe infirmière. Elle était à bout et elle n’avait jamais vu ça. Cela a provoqué des ravages inattendus, mais je ne pense pas que les homes ont été abandonnés. Je pense qu’avec nos connaissances de l’époque, nous avons fait ce qu’il fallait. Aujourd’hui, je reste surpris que la vaccination ne se soit pas imposée comme une obligation pour le personnel soignant. Cela m’interroge moralement car ils ont été les vecteurs de la transmission du virus dans les homes. Sur le plan professionnel, les soignants, qui ont une formation poussée, continuent à penser que le vaccin n’est pas utile, je reste consterné. Je suis un défenseur de l’obligation de la vaccination pour certains professionnels.
Lorsqu’on déconfine en juin 2020, pensez-vous que c’est terminé?
Oui. Je suis un optimiste de nature. En juin, je vois que les courbes s’aplatissent sauf dans l’hémisphère sud où c’est l’hiver. On ne tombe pas malade de la grippe en juillet. Je me mets dans un état d’esprit où c’est fini et, en septembre, c’est la douche froide. Je me sentais moins seul pendant ce deuxième confinement car les mesures étaient moins dures. En revanche, je commence à gérer les premières mises en doute par une partie de la population. La commune gère le ras-le-bol, le décrochage, le problème de la santé mentale s’aggrave. Les gens ne regardent plus la télévision, ils ne peuvent plus voir Van Laethem et les autres experts. Ce sont des oiseaux de mauvais augures. Les jeunes en ont marre aussi. Ils se sentent infaillibles façon James Dean. J’ai dû convaincre ma plus jeune fille de se faire vacciner alors que celle qui travaille au Samusocial pleurait afin d’être prioritaire pour la vaccination. Je n’ai jamais eu peur que cela explose mais j’ai trouvé que la société s’est radicalisée. Ce sont les jeunes des beaux quartiers qui ont été dans l’expression visible d’une revendication. Je n’ai jamais eu les événements de la place Flagey. Jette a été hyper disciplinée.
Pour vous, le terrain a-t-il été assez écouté?
Le ministre-président Rudi Vervoort a joué son rôle. Il a aussi réinventé son métier. La situation était inédite. Pour la vaccination, nous avions demandé un centre, même si finalement le taux est bon dans notre commune. Pour y arriver, nous avons mis en place une chaîne de solidarité. Des bénévoles ont accompagné les personnes âgées au Heysel pour se faire vacciner. Je suis sûr que sans cela, elles n’y seraient pas allées. Quant à la quarantaine, c’est une usine à gaz. Cela ne se base finalement que sur la bonne volonté des gens. En France, ils testent les gens dès qu’ils atterrissent. En Belgique, le fédéral compte juste sur le civisme et la capacité des citoyens à remplir un document sur internet.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Je suis plus méfiant que l’an dernier. La vaccination est la seule donnée différente. C’est notre seule porte de sortie. Si on n’arrive pas aux fameux 70% de couverture, je pense que nous devons envisager l’obligation de se faire vacciner pour certains professionnels comme les enseignants, les policiers, les assistants sociaux….
Quel a été le plus dur pour vous?
C’est anecdotique mais dans 6 mois j’ai fini mon mandat, et je trouve cela dommage de terminer ma carrière ainsi. J’aurais voulu faire mes derniers mois dans une ambiance joyeuse. J’espère que le marché annuel aura lieu car cela sera mon dernier comme bourgmestre. La fête du personnel en janvier n’a pas eu lieu, cela m’a rendu triste.
Qu’est-ce qui vous a surpris?
L’égoïsme de pas mal de gens. Dans la vie, il y a des gens bien et des cons. Dans des événements comme celui-ci, les héros ordinaires deviennent extraordinaires et les cons sont encore plus cons. C’est pareil en temps de guerre.
Qu’est-ce qui vous a le plus manqué?
Je suis quelqu’un de très social. Ne pas aller manger au restaurant, ne pas pouvoir boire un verre avec les copains, c’était compliqué. Je suis dans la communication verbale et tactile. C’est ma nature.
Est-ce que cela a changé quelque chose chez vous?
Je ne pense pas. Je suis content d’avoir vécu l’expérience. Dans la vie d’un bourgmestre, c’est fort.
Vanessa Lhuillier