Grève nationale : les syndicats parlent d’un “succès”, les patrons d’un “impact plus faible que prévu”
Comme attendu, les sons de cloches diffèrent entre syndicats et les patrons concernant le bilan de la grève nationale qui touche tous les secteurs, ce mercredi.
La Centrale nationale des employés (CNE) constate une bonne participation globale du non-marchand à la grève générale qui sévit dans tout le pays. Le secteur des soins de santé et des maisons de repos est particulièrement touché par les actions, selon Yves Hellendorff, secrétaire national de la CNE. Les hôpitaux, s’ils assurent un service minimum, sont fort perturbés par la grève générale, indique-t-il : “On note une très bonne participation dans les soins de santé.”
L’appel à la grève a été bien entendu dans les maisons de repos, se réjouit Yves Hellendorff. “À nouveau, un service minimum est assuré mais qui est finalement plus important que celui du dimanche”, pointe-t-il. “C’est terrible car dans les maisons de repos, on travaille toujours avec un minimum de personnel.” Les mutuelles étaient elles pratiquement toutes fermées, signale la CNE, qui ajoute que des piquets de grève ont été installés.
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D’autres pans du non-marchand sont touchés comme les services d’aide aux familles. De nombreuses crèches sont fermées ou offrent un nombre de places limité, pour les parents qui ne disposaient pas d’autres solutions, précise la CNE. “Quelques accueillantes d’enfants à domicile, qui viennent d’obtenir leur statut de salarié” ont aussi débrayé.
“Dans le socioculturel, la participation est moindre mais cela s’explique par le fait qu’en Wallonie, le personnel s’est déjà beaucoup mobilisé contre la réforme des aides à l’emploi.” À Bruxelles, les services ont bien débrayé, selon Yves Hellendorff.
“Très remonté”
Du côté de l’aide sociale (aide aux personnes handicapées, à la jeunesse…), la situation varie selon les régions, indique encore le syndicaliste. Si des fermetures ont été constatées, d’autres institutions sont en service minimum ou ne distribuent simplement que des tracts. Le secteur ambulatoire (santé mentale, planning, services sociaux), des entreprises dans les soins de santé telles que des laboratoires ou des centres de revalidation ou encore des sociétés de la commission paritaire 337 (auxiliaire du non marchand) participent aussi à la grève, note la CNE.
“S’il y a une semaine, on m’avait dit qu’il y aurait une telle participation, j’aurais signé des deux mains”, s’exclame Yves Hellendorff. Les syndicats craignaient une implication moindre du secteur, qui n’est pas tenu aux accords inter-professionnels négociés tous les deux ans dans le privé. “Le non-marchand conclut des accords sociaux pluriannuels de son côté et nous avions peur qu’il se sente moins concerné.”
Toutefois, le secteur est “très remonté parce qu’on détricote les prépensions et les crédits-temps, on allonge les carrières et on ne fait rien pour les métiers pénibles”, dénonce Yves Hellendorff. Les hôpitaux protestent aussi contre la réforme des réseaux hospitaliers initiée par Maggie De Block, ministre de la Santé publique.
“Un succès grandiose” dans le secteur aéroportuaire
Les syndicats du secteur aéroportuaire sont aussi plus que satisfaits du suivi de la grève. “Ce n’est pas de notre faute”, ajoutent-ils. L’espace aérien belge a été fermé pour une durée de 24 heures en raison de la grève nationale.
Le mouvement est “un succès grandiose”, se réjouit en direct de Brussels Airport Bart Bijnens, du syndicat socialiste ABVV. “La grève nationale avait été annoncée il y un certain temps pour lutter contre les mesures antisociales du gouvernement actuel.” Le syndicaliste renvoie notamment au sujet des pensions et de la marge salariale maximale à 0,8%. “Bien trop peu ! Surtout avec une économie qui fonctionne bien en toile de fond.”
Bart Bijnens n’est pas surpris du suivi de la grève. “Même Skeyes fait grève. C’est logique. Et à l’aéroport, la volonté des employés de faire grève était et est très présente.”
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“Ce n’est pas notre faute”, complète Paul Buekenhout, du syndicat chrétien. “Cette grève avait été annoncée à l’échelle nationale, envers le gouvernement.” Le représentant syndical plaide pour davantage d’emplois qualitatifs dans les aéroports. “Les grèves des dernières années ont montré à quel point la qualité de nos emplois est mauvaise. Elle doit être améliorée, tant au niveau de la maintenance que des compagnies aériennes et du nettoyage.”
“Si j’en crois mes souvenirs, il s’agit de la deuxième fois que l’aéroport est totalement paralysé”, ajoute-t-il. La première étant en 2014, lors de l’entrée en fonction du gouvernement. “Les gens sont en colère à cause de la loi qui n’autorise pas à donner plus que 0,8%”, souligne de son côté Fouad Bougrine, du syndicat libéral ACLVB. L’âge de la pension génère aussi de vives oppositions. “Ils veulent une part correcte du gâteau et non juste les miettes. Les travailleurs ne veulent pas non plus tirer sur la corde jusqu’à 67 ans. Ils veulent passer du temps avec leurs petits-enfants, etc.”
La FEB veut se remettre à la table des négociations
La Fédération des Entreprises de Belgique appelle les syndicats à la “raison”, après “l’émotion” de la grève qui touche de nombreux secteurs à travers toute la Belgique. Elle espère ainsi pouvoir rapidement regagner la table des négociations afin de conclure un accord interprofessionnel (AIP), qui soit “basé sur un équilibre entre entreprises compétitives et pouvoir d’achat”.
“Il y a beaucoup d’instabilité économique et politique en ce moment. Ce serait une bonne chose si les partenaires sociaux pouvaient être un partenaire fiable au sein du tissu socio-économique de notre pays”, a affirmé Pieter Timmermans, administrateur délégué de la FEB alors que les trois principaux syndicats du pays mènent une grève générale faute d’avoir pu conclure un accord satisfaisant sur la question sensible des salaires. “J’espère que le sens des responsabilités l’emportera afin qu’un AIP puisse encore être conclu”, a ajouté le patron des patrons.
Face à la grogne syndicale, la FEB appelle donc à la paix sociale. D’après les chiffres de la fédération, avec un AIP, les salaires nets pourraient augmenter de 5 à 6,1% entre 2019 et 2020, entraînant par là même une augmentation du pouvoir d’achat.
À la critique récurrente des travailleurs concernant la politique de dividendes des entreprises belges, la fédération patronale rétorque que la part salariale ne diminue par au profit des actionnaires qui s’en mettraient plein les poches. “La faible baisse de la part salariale et l’augmentation de l’excédent brut d’exploitation qui en découle n’ont pas donné lieu à des dividendes généreux, mais ont été affectés en premier lieu au paiement d’impôts plus élevés et, depuis quelques années, à une augmentation des investissements. Depuis peu, nettement plus de bénéfices sont par ailleurs mis en réserve pour des investissements futurs, pour préparer les entreprises aux défis (numériques) de l’avenir”, analyse Edward Roosens, économiste en chef de la FEB.
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D’après les chiffres de la FEB, les impôts directs payés par les entreprises belges sur leurs bénéfices ont crû de 3,2% de la valeur ajoutée en 1995 à 5% en 2016 et même 6% en 2017. La FEB relève encore qu’au cours de ces dernières décennies, la part salariale (par rapport à la valeur ajoutée) a diminué dans la plupart des pays industrialisés. En Allemagne par exemple, elle a chuté de presque 64% en 1995 à un peu plus de 59% en 2017 tandis qu’elle est passée de 63% en 1995 à 60,5% en 2017 aux Pays-Bas et en Belgique.
Impact “plus faible” en Flandre
La volonté de faire grève est faible au sein des PME du nord du pays, à peine 4% d’entre elles étant en grève, souligne l’organisation flamandes de classes moyennes Unizo. En ce qui concerne les entreprises de taille moyenne, c’est-à-dire de plus de 50 travailleurs, un quart d’entre elles sont en grève. Dès lors, “l’impact de la grève est finalement un peu plus faible que ce l’on avait pensé”, a réagi l’administrateur délégué d’Unizo, Danny Van Assche.
Pour autant, cela ne revient pas à dire qu’il n’y a pas de perturbations, selon l’Unizo, puisque un tiers des entreprises ont subi des conséquences négatives liées à la grève comme des retards de travailleurs ou des blocages de livraisons. “Nous ne pouvons aucunement l’accepter”, déplore l’Unizo, pour qui il s’agit là d’un non-respect du gentelemen’s agreement conclu entre les partenaires sociaux.
Danny Van Assche, qui siège au sein du Groupe des 10, se dit convaincu qu’un accord est encore possible entre patrons et syndicats. Il appelle tout le monde à se remettre autour de la table et souligne que les négociations sur un accord interprofessionnel 2019-2020 portent sur bien davantage que la seule question des salaires, avec des dossiers comme les fins de carrière, les pénuries de main-d’œuvre ou l’enveloppe bien-être.
Avec Belga – Photo : Belga/Thierry Roge