Grève générale : les syndicats préparent un marathon, les secteurs réagissent à la mobilisation

Des piquets de grève sur le campus de l'ULB

Les fédérations et les politiques réagissent à la grève générale de ce lundi 31 mars.

Une grève nationale interprofessionnelle, à l’appel de la FGTB et de la CSC, paralyse une grande partie de la Belgique ce lundi. Cette mobilisation vise à protester contre les mesures de la coalition Arizona, dont l’accord gouvernemental a été qualifié de “déclaration de guerre contre le monde du travail” par les syndicats. Des administrations publiques aux transports en commun, en passant par les écoles, les commerces et les aéroports, le pays toune au ralenti.

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Une grève générale au très mauvais moment

Les entreprises de production des secteurs du textile, du bois et de l’ameublement subissaient également les conséquences de la grève générale lundi. “Il y a de mauvais et de très mauvais jours pour faire grève. Aujourd’hui est un très mauvais jour“, a estimé Fedustria, la fédération sectorielle.

Plus d’une entreprise sur deux dans le secteur est confrontée à un piquet de grève, tandis que plus d’une sur trois a rapporté subir des désagréments liés à la grève, ressort-il d’une enquête menée par Fedustria auprès de ses membres.

La grève générale décrétée par les syndicats intervient à un moment où l’industrie manufacturière est en difficulté, avec notamment une capacité de production historiquement basse (à 65%) dans l’industrie textile. “Notre industrie tente de maintenir le cap dans des eaux très turbulentes et a tout à gagner si tout le monde reste calme et responsable. C’est l’avenir des entreprises et de leurs travailleurs qui est en jeu“, prévient Fedustria.

Indépendants et PME doivent cesser d’être pris en otage

La Fédération patronale interprofessionnelle SDI estime lundi qu’il est contreproductif d’utiliser des méthodes d’action qui font des indépendants et des petites entreprises les principales victimes collatérales du mécontentement syndical.

La grève est un droit fondamental. Cependant, elle doit rester un dernier recours, pas une habitude. La concertation ne peut se construire dans un climat de pression permanente“, explique Daniel Cauwel, président du SDI.

Le SDI dit néanmoins comprendre les préoccupations sociales et les tensions générées par les projets de réforme de la coalition Arizona, mais rappelle que “les indépendants ne sont pas les adversaires des travailleurs“.

Besoin d’un souffle commun, pas d’un arrêt brutal

AKT for Wallonia souligne les conséquences de cette journée. “Cette grève ne bloque pas des bâtiments, elle bloque des équipes et des projets. Et quand l’économie s’arrête, ce sont les travailleurs, les entreprises et l’ensemble de la société qui en subissent les conséquences. La Wallonie a besoin d’un souffle commun, pas d’un arrêt brutal“, précise Frédéric Panier, le CEO de l’organisation patronale wallonne.

Les syndicats nuisent à la prospérité

L’organisation patronale flamande Voka abonde dans le même sens, insistant sur l’impact majeur d’une telle grève et les dommages économiques importants qui en découlent, évoquant plusieurs centaines de millions d’euros. Selon Hans Maertens, directeur général du Voka, les syndicats nuisent à notre prospérité. “En période de difficultés économiques, ils portent atteinte à l’économie à hauteur de centaines de millions d’euros. Ils font la grève contre le gouvernement, mais frappent nos entreprises.” Le Voka évalue qu’une journée de grève comme celle de ce lundi engendre une perte irrécupérable de 300 à 500 millions d’euros.

Quatre PME sur 10 touchées au nord du pays

L’organisation patronale flamande Unizo rapporte par ailleurs que quatre PME sur dix au nord du pays, sur la base d’une enquête menée auprès de 394 PME, sont touchées par la grève générale. Le plus gros problème se situe au niveau de la logistique.

Un quart des employeurs touchés par la grève ont signalé que les employés ne sont pas venus travailler. Seuls 3% d’entre eux ont déclaré que leur personnel participe à la grève. “Cela montre, comme on pouvait s’y attendre, que la volonté de faire grève au sein des PME est particulièrement faible“, ajoute Unizo. Le personnel est le plus souvent absent en raison de problèmes de transport ou de grèves dans les écoles et les crèches.

Les syndicats se préparent à un marathon

Les syndicats ont affiché leur fermeté face à une Arizona qui serait “bien plus violente que la Suédoise“, selon le vice-président de la CSC (chrétien), Stéphane Deldicque. Interrogé par LN24 sur des demandes exprimées par Vooruit, Les Engagés et le CD&V d’exceptions dans la réforme des allocations de chômage, cela prouve à ses yeux que “l’Arizona est un paradoxe“. “L’accord de majorité est extrêmement fragile et le vernis va craquer“.

Selon lui, le rapport de force généré par la grève générale est appelé à “durer dans le temps“. C’est ce qu’affirme aussi le président de la FGTB, Thierry Bodson. Sur La Première (RTBF), le syndicaliste socialiste rappelle la perspective d’une prochaine grève générale, le 29 avril. D’ici là, “ça ne bougera pas“, considère-t-il après avoir entendu M. Jambon.

Avec la CSC, on a un plan (d’actions) jusqu’au mois d’octobre. On sera plus imaginatif que par le passé, avec des actions perlées en fonction des secteurs“, explique-t-il. Pour Bert Engelaar, c’est “un marathon de quelques années” qui se profile si rien ne change, car “il n’y a plus de concertation sociale stable et constructive“.

La grève générale “met le pays au ralenti“, résume Thierry Bodson. Le “manque à gagner” ainsi provoqué pour l’économie permet à ses yeux de prouver que “la richesse du pays, ce sont les travailleurs“. Il assure que la grève est “particulièrement bien suivie“.

Vooruit souligne des points sociaux de l’accord de gouvernement

Interrogé sur Radio 1 (VRT), Conner Rousseau a insisté sur la nécessité de réformer. Il note aussi que de nombreux points de l’accord gouvernemental doivent encore être clarifiés, comme les allocations de chômage pour les personnes qui se forment à des métiers en pénurie de main d’œuvre.

Il réfute la critique de Bert Engelaar, secrétaire général de la FGTB, pour qui la politique de l’Arizona n’est pas sociale. Le président des socialistes flamands rappelle l’augmentation des salaires nets, des chèques-repas et des salaires minimums, ou encore le maintien de l’indexation automatique.

J’aurais aimé que ce soit plus social, mais gouverner, c’est faire des compromis. Sans gouvernement, nous serions tombés dans le chaos le plus complet“, a plaidé Conner Rousseau.

Il faut être à l’écoute

Interrogée sur nos antennes, la cheffe de groupe des Engagés à la Chambre, Aurore Tourneur, a également souligné la nécessité pour le gouvernement “d’être à l’écoute“, face au “message d’inquiétude” qu’est la grève générale.

Revoir l’interview complète

Elle dit regretter une “désinformation et une récupération politique qui attise les peurs“, tant dans le chef de certains partis que des syndicats. Mais “sans assainissement et maîtrise budgétaire à long terme, on ne peut pas pérenniser les pensions“, selon elle.

La centriste met en avant “la pédagogie” menée par le ministre des Pensions Jan Jambon (N-VA), qui a publié ce week-end un message vidéo expliquant la nécessité de réformer les pensions. Elle rappelle elle aussi des gains sociaux de l’accord de gouvernement, comme l’indexation automatique, les pensions minimums, ou le maintien des droits acquis. Pas question pour les Engagés, répète-t-elle, de faire régresser le statut des artistes.

Le respect des travailleurs s’obtient à la table des négociations, pas dans la rue

“Le soutien à la journée de grève nationale d’aujourd’hui s’est érodé en raison de mois d’actions individuelles qui n’ont aucunement contribué à des solutions constructives”, regrette lundi Pieter Timmermans, CEO de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB).

Cette dernière estime que “l’avalanche d’actions antérieures (…) a réduit à néant le soutien à la grève générale”, constituant un “poids supplémentaire” et un handicap pour les entreprises déjà en difficulté. Ces dernières années, la Belgique a connu une vague de faillites: Audi (1.410 emplois), Van Hool (1.100 emplois), ou encore Bristol (770 emplois), rappelle la coupole patronale. L’organisation pointe également une baisse de la production industrielle pour la troisième année consécutive et une perte de compétitivité due à l’augmentation des coûts salariaux et des prix de l’énergie.

La FEB cite aussi l’avertissement récent du FMI concernant le déficit budgétaire belge, qui pourrait atteindre 7,2% du PIB d’ici 2030 sans mesures d’assainissement.

“Faire grève dans ces circonstances est en total décalage avec la réalité et particulièrement inopportun”, déplore la fédération. L’accord conclu ce mois-ci au sein du Groupe des Dix entre syndicats et employeurs sur les conventions collectives de travail illustre, pour la FEB, l’efficacité de la négociation. “La preuve, une fois de plus, que l’on peut obtenir davantage par la négociation que par la grève”, souligne l’organisation.

“Dans l’un des pays les plus prospères au monde, faire grève n’a jamais été une solution. L’option la plus efficace pour parvenir à de bons résultats est d’entamer un dialogue et de conclure des accords équilibrés. C’est à cela que doit ressembler une concertation responsable”, conclut le CEO.

Ne pas se tirer une balle dans le pied

Agoria, la fédération de l’industrie technologique, estime qu’une “grève qui met nos entreprises à l’arrêt n’est pas la solution. Au contraire, elle ne fera qu’aggraver la situation de notre industrie, de nos entreprises et de nos travailleurs, alors que nous sommes déjà en grande difficulté“.

La fédération estime que ce dont l’industrie a besoin, “c’est d’un dialogue positif et constructif entre employeurs, travailleurs et décideurs politiques“.

Dans un communiqué, Agoria dit comprendre les préoccupations à l’origine de l’action, mais affirme aussi que le secteur de l’industrie technologique “a perdu 8.000 emplois l’an dernier et les perspectives pour cette année restent sombres. Nous traversons la période la plus difficile de ces 10 à 15 dernières années“.

Agoria calcule qu'”une journée de grève nationale sur l’industrie technologique pourrait engendrer plus de 200 millions d’euros de pertes économiques“.

De plus“, selon Agoria, “une telle action nuit à la réputation internationale de la Belgique en tant qu’acteur industriel fiable et destination attrayante pour les investissements. Les investisseurs étrangers, qui soutiennent plus de 70 % de notre industrie, observent ces actions avec inquiétude“, assure la fédération.

La Coalition Santé soutient la grève générale

La Coalition Santé, représentant des organisations du secteur de la santé, a affirmé dans un communiqué son soutien à la grève générale et sa position par rapport aux politiques mises en place par le gouvernement fédéral. Selon la Coalition, les réformes annoncées par le gouvernement sont “jugées anti-sociales, elles fragilisent les droits sociaux et risquent de détériorer les conditions de vie de la population.”

Notre expertise de la santé ainsi que notre expérience du terrain nous permettent d’anticiper l’impact réel de ces mesures“, a indiqué Brieuc Dubois, porte-parole de la Coalition Santé. “Elles vont intensifier les problèmes de santé pour de nombreuses familles et aggraver davantage les inégalités sociales et de santé.”

Selon la Coalition, les coupes dans les services publics, le secteur non marchand ainsi que la remise en cause de certains droits sociaux auront des conséquences directes sur la santé de la population. “Les conditions de travail deviennent de plus en plus dures et les possibilités de départ anticipé à la pension de plus en plus réduites. On oblige les gens à travailler plus durement et plus longtemps ce qui accroît mécaniquement les situations de maladie de longue durée“, a ajouté Brieuc Dubois. “On tente de pousser les personnes en incapacité à reprendre le travail, parfois coûte que coûte. C’est un non-sens.”

La Coalition a encore souligné que “les volontés du gouvernement d’effectuer des économies dans les soins de santé empêcheront le déploiement de nouvelles initiatives absolument nécessaires“. “Nous avons élaboré un livre blanc avec 30 alternatives crédibles qui permettent la construction d’un système de santé robuste, accessible et juste“, a conclu Brieuc Dubois, évoquant les alternatives proposées par la Coalition. “La santé doit être une véritable priorité politique intégrée dans une vision globale.”

avec Belga – Photo : Belga