Un monde qui bascule, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce mercredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito la crise de l’énergie et les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale.
La crise de l’énergie, chacun de nous la vit dans son quotidien et dans son portefeuille. Il y a sans doute un danger à vouloir la réduire à ce seul aspect très égocentré. Ce qui est en train de se passer ces jours-ci, c’est bien plus que cela. C’est l’entrée dans un nouveau monde.
il est bien sûr légitime de s’inquiéter de ce qui nous arrive à nous. Parce qu’être confrontés factures, qui explosent, nous prennent à la gorge, ruinent nos économies et conduisent certains d’entre nous vers des grandes difficultés et parfois la failliteest injuste, révoltant, en partie incompréhensible. Le consommateur se retrouve victime d’un jeu auquel il n’a pas pris part. La colère, peut-être même la révolte sont compréhensibles.
Je ne vais sûrement pas remettre ce sentiment d’injustice en cause. Mais si on veut vraiment comprendre ce qui nous arrive, il est important de prendre un peu de hauteur de vue. Relever la tête de nos factures et de nos querelles belgo-belges. Le monde autour de nous est en train de changer à une vitesse incroyable. La guerre en Ukraine est en train de redessiner la planète et la place des Etats. Cela a des conséquences sur notre approvisionnement en énergie et sur notre économie, c’est vrai. Mais c’est bien plus que cela. Les bouleversements sont planétaires, ils sont commerciaux, stratégiques et géopolitiques.
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Pour faire simple et résumer, nous avons tenté d’isoler la Russie et nous avons décidé de soutenir l’Ukraine. Envoi de munitions et d’armements, soutien financier, sanctions commerciales contre l’agresseur russe. En retour, la Russie a réduit notre approvisionnement en pétrole et en gaz. D’abord partiellement, désormais quasiment totalement. Avec deux effets, d’abord la crainte d’une rupture de notre approvisionnement, qui sera encore plus forte pendant les mois d’hiver, ensuite une flambée des prix sans précédent qui révèle une dépendance énergétique dont nous n’avions probablement pas pris toute la mesure.
Ce mercredi, ce bras de fer entre la Russie et l’Union européenne est plus intense que jamais. Avec d’un côté la Commission européenne qui annonce, entre autres mesures, qu’elle va plafonner le prix du gaz russe. Et Poutine qui nous répond que si c’est comme cela, il ne nous livrera plus une goutte de gaz. “Il est impossible d’isoler la Russie” a complété le président russe alors qu’il est en voyage à l’extrême Est de la Russie pour rencontrer des chefs d’État asiatiques.
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Elle est plus que symbolique cette visite. Elle indique un basculement de la Russie vers l’Asie. C’est avec les pays du Pacifique, et notamment la Chine, que la Russie veut désormais commercer. Avec l’Europe, il n’y a désormais plus de relations commerciales possibles. Il ne faut pas se tromper. De nombreux États du Sud, sont assez enclins à approuver et suivre la démarche russe. Question de revanche vis à vis d’occidentaux perçus comme donneurs de leçons ou d’intérêts quand les nouveaux investisseurs se montrent moins exigeants en matière de droits de l’homme, de gouvernance ou d’orthodoxie budgétaire. Résultat : Moscou n’est pas aussi isolée que nous le pensons. On notera par exemple la sortie du président turc Recep Tayyip Erdogan qui estime que l’Occident mène “une politique de provocation” vis-à-vis de la Russie… Et que notre crise énergétique, nous l’avons bien cherché.
La Turquie, pour rappel, frappait aux portes de l’Union européenne il y a quelques années. Elle nous faisait les yeux doux. Elle nous fait désormais la leçon et vante sa politique d’équidistance entre Kiev à qui elle livre quelques drones militaires et Moscou qu’elle ne condamne pas et à qui elle achète toujours du pétrole. C’est de la real politique. C’est ce que nous avons, nous Européens, refusé de faire face à l’invasion russe en Ukraine. Nous avons préféré sanctionner durement plutôt que de protester mollement. Nous en payons les conséquences avec ce qui est aujourd’hui une véritable guerre au sens économique au terme. Nous sommes des belligérants pris dans un conflit commercial sans précédent. Une position qui peut à tout moment basculer vers d’autres affrontements technologiques ou militaires (il suffit d’imaginer un accrochage en mer Baltique pour que le conflit ne gagne encore en intensité). Et nous devons avoir bien conscience que cette guerre risque d’être longue et coûteuse. Et que la carte du monde que nous découvrirons demain, sera peut-être bien moins avantageuse que celle que nous connaissions hier.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley