Rue de la Loi : à Nethys, les chiffres sans éthique

Ça se passe loin de Bruxelles, et pourtant cette information nous touche quand même. À Nethys, quand il n’y en a plus, il y en a encore. Ce matin, le journal le Soir révèle donc que les dirigeants de cette entreprise liégeoise si souvent à la une des journaux se sont partagés 18 millions d’euros d’indemnités, dont 11 millions pour le seul patron Stéphane Moreau.  Il y a deux raisons d’être choqué dans cette affaire. La première concerne le montant. Pas qu’on soit du genre populiste à se répandre en jalousie sur le salaire de celui qui gagne très bien sa vie, ou qu’on ignore que les bons dirigeants méritent un bon salaire, sinon ils partent ailleurs. Et oui dans le secteur privé,  qu’on soit grand dirigeant, ou avocat d’affaires, dès qu’on a une stature international on gagne très bien sa vie. Mais quand même. 11 millions d’euros. Même quand on est un grand patron, la somme est exorbitante. La transparence n’étant jamais acquise, il est toujours difficile de parler de chiffres dans ces milieux où la discrétion est une seconde nature. De ce qu’on sait, Dirk Boer, le grand patron du groupe Ahold-Delhaize, touche un peu moins de 5 millions par an et le le grand patron de Solvay un peu plus de 3 millions. Pour rappel, le salaire minimum en Belgique est de 1593 euros. Le salaire moyen est aux environs de 1990 euros par mois . Ça veut dire que pour gagner 11 millions d’euros, un Belge payé au salaire moyen doit travailler 5 527 mois… c’est l’équivalent de 460 années de travail. Pas besoin d’être un révolutionnaire confirmé et de connaître Karl Marx par cœur pour être interpellé par une telle disproportion.

C’est vrai, Stéphane Moreau est à la tète d’une entreprise stratégique, indispensable au redéploiement d’une région liégeoise frappée de plein fouet par la crise de la sidérurgie. Nethys emploie 3000 personnes , ce n’est pas rien, et il endosse donc de lourdes responsabilités, avec le stress qui va avec.  Mais il faut se rappeler que Stéphane Moreau, avant de toucher ses 11 millions, a eu un salaire de près d’un million par pendant des années. Et que si la Région Wallonne a effectivement décidé de plafonner sa rémunération, et de la diviser par 4, il allait quand même continuer à toucher 260 000 euros par an. Ça représente encore 10 fois le salaire moyen.

La seconde raison d’être choquée, c’est la justification de cette indemnité. Elle a été versée justement parce que la Région wallonne avait décidé de limiter la rémunération des dirigeants de Nethys, les trouvant indécentes. Le conseil de direction de Nethys et son comité de rémunération n’ont rien trouvé de mieux que dire : “OK, on va appliquer la règle”. En réalité ils  n’avaient pas le choix. Mais en catimini, ils ont donc versé une indemnité de compensation, discrètement, par la voix de bonus sur les assurances-groupe. On va le dire clairement : à Nehtys, on n’a pas arrêté ces dernières années de faire des bras d’honneur aux autorités de tutelle. À la maison-mère Enodia, où siègent les communes actionnaires, ou au Gouvernement wallon, qui essayait de modifier les règles. On faisait mine d’accepter les règles, mais on les contournait sans cesse. Pire, dans une interview donnée mi-septembre, Pierre Meyers, le président du conseil d’administration, avait assuré que Stéphane Moreau et d’autres allaient quitter l’entreprise et qu’on mettrait fin à leur contrat sans indemnité. C’était donc un gros mensonge, et c’est pour cela que cette affaire ne se limite pas à Liège mais que son onde de choc touche aussi Namur ou Bruxelles. Qu’elle nous secoue, nous révolte, nous scandalise et doit servir de leçons aux classes dirigeantes bruxelloises aussi. Parce qu’à la déraison des sommes engagées, on a ajouté le cynisme et la malhonnêteté. Qu’on a menti sans vergogne aux actionnaires, aux pouvoirs publics, à la presse, et donc à l’opinion publique. L’opinion publique, ce sont aussi les contribuables, qui par leurs impôts bouchent les trous et des clients qui peuvent être abonnées à Voo ou recevoir leur gaz ou leur électricité par Résa. Cela en fait du monde à avoir été berné, escroqué, humilié. Le monde des affaires fait souvent la leçon au monde politique. Il arrive même à des dirigeants de grandes entreprises, satisfaits de leur réussite, de se moquer avec cynisme de son pouvoir limité,de ceux qui embrassent une carrière politique et se satisfont des revenus limités d’un ministre ou d’un parlementaire. À Liège, ce monde-là, cynique et culotté, prouve finalement qu’il est bien moins vertueux qu’il ne le prétend. Et que oui, il faut bien que les pouvoirs publics, donc ces élus, assurent une mission de contrôle. Et que non, l’éthique ce n’est pas réservé qu’aux ministres ou aux partis politiques. Tout ceux qui ont des responsabilité doivent avoir le sens de l’honnêteté s’ils veulent garder notre confiance. Et les chefs d’entreprises ne sont pas une exception. Ce matin, Béatrice Delvaux signe dans le journal Le Soir un éditorial dont le titre est “l’argent du mensonge de de la honte.” L’argent du mensonge, donc de la honte. On n’a pas d’autres mots.

Téléchargez et écoutez l’édito en podcast sur toutes les plateformes