Rue de la Loi : avec ou sans le CD&V ?

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Ce qui est embêtant dans ce métier de chroniqueur politique c’est le sentiment de redite. On serait pourtant bien tenté de vous écrire que la semaine est cruciale, qu’on n’a jamais été aussi prêt d’un accord, parce que le temps presse et que la pression n’a jamais été aussi grande, que c’est le moment d’y aller ou jamais pour certains interlocuteurs, et que dans le cas contraire le spectre des élections va se rapprocher. Le problème, c’est qu’en 18 mois de tractations tous les journalistes vous ont déjà écrit cela dix fois. On peut quand même ajouter un ou deux arguments qui pourraient renouveler l’exercice et donner l’impression d’une nouvelle donne. D’abord l’échec d’une tentative PS-NVA menée par Bart De Wever lui-même (c’est l’argument du “vraiment pas possible avec les nationalistes”). Ensuite parce que le Covid 19 est passé par là, et qu’outre la nécessité d’avoir une équipe en capacité de réagir si l’épidémie reprend, il y a surtout des aides européennes à négocier et que passer à côté de cette manne tombée du ciel serait un crime économique et un non-sens politique (mieux vaut gérer les enveloppes pour appliquer une politique qui vous convient que laisser faire vos concurrents). Puisqu’il reste trois semaines et demi avant la date butoir du 17 septembre (où Sophie Wilmès s’est engagée à demander la confiance du Parlement), la mission d’Egbert Lachaert fait figure de dernière tentative ou presque. Allez, ce n’est pas la mission de la dernière chance, mais celle de l’avant-dernière. 

Vendredi, le président de l’Open VLD devra donc dire au roi Philippe s’il est ou non en position de former une majorité. L’hypothèse la plus plausible est celle de la coalition “4 saisons”, aussi appelée Vivaldi, qui réunirait les familles socialiste, libérale, écologiste et social-chrétienne. Une majorité ample (87 députés pour la petite Vivaldi, voire 88 si on compte Emir Kir, 92 ou 93 pour la grande Vivaldi qui inclut le CDH), qui a le petit défaut d’être minoritaire dans le camp flamand, mais après 18 mois et une crise sanitaire cet argument a perdu de sa puissance. Quelle sont ses chances de réussir là où tant d’autres ont échoués ? Réelles nous assurent plusieurs interlocuteurs. Un paradoxe quand on sait qu’Egbert Lachaert fut un militant convaincu du gouvernement avec la N-VA. C’est justement son atout : amener le parti libéral flamand là où il refusait d’aller il y a quelques mois encore.

Comme on l’a déjà si souvent écrit depuis le début de cette interminable formation de gouvernement, la clef se trouve en grande partie au CD&V. Le parti social-chrétien flamand acceptera-t-il de monter à bord sans la N-VA? Les dernières déclarations de Joachim Coens étaient ambiguës. Moins fermées que d’habitude sans être tout à fait ouvertes. Le président du CD&V donnait l’impression de faire monter les enchères, en exigeant tout à la fois le gel du projet de loi sur la dépénalisation et l’extension de l’IVG, une politique sociale plus centriste que celle préconisée par les libéraux. Ce lundi  midi le président Coens avait un échange de vue avec les parlementaires socio-chrétiens. Un point informel, et pas une réunion du bureau du parti insistait-on au siège du parti. Alors que tout le monde espérait un positionnement clair des sociaux-chrétiens, ceux-ci ont tenté de remettre la pression sur Egbert Lachaert en lui demandant d’expliciter la direction qu’il compte prendre. Bref tout le monde attend que le CD&V choisisse. Le CD&V lui refuse encore et toujours de choisir et demande aux autres de le solliciter formellement.

Le petit jeu de l’immobilisme peut-il se poursuivre ? Sans doute pas.  D’abord parce que le temps presse, on l’a écrit. Ensuite parce que l’Open VLD et le SP.A pourraient bien être tentés de ne plus attendre que le CD&V se déscotche gentiment de la N-VA. On pourrait donc voir un gouvernement se former sans le CD&V mais avec l’Open VLD, Groen et le SP.A. Une coalition qui serait très minoritaire côté néerlandophone (29 sièges seulement) mais l’hypothèse, avec le temps qui passe, commence à sembler plausible à certains observateurs. Elle devrait compter sur le soutien du CDH pour atteindre les 80 sièges, et on ne voit pas pourquoi Maxime Prévot se refuserait à l’exercice, lui qui était déjà prêt à discuter avec la N-VA. Le CD&V n’aurait pas grand chose à gagner à rester au balcon. Depuis les bancs de l’opposition, il lui serait difficile de se faire entendre alors que N-VA et Belang auront une puissance de feu bien supérieure à la sienne. Et surtout il serait mal pris : s’il devait y avoir un accord entre libéraux et socialistes, avec un soupçon d’écologie en prime, ce serait forcément pour faire une politique économiquement et socialement au centre… le CD&V serait dans les tribunes pour huer une politique qu’il aurait lui même appliqué avec zèle s’il avait osé monter sur le terrain.

Comment expliquer ce jeu de dupes ? Encore et toujours pour une question de rapport de force. Tant l’Open VLD que le CD&V ont sans doute intérêt à faire payer leur ralliement à une coalition fédérale qui plante un couteau dans le dos de la  N-VA.  Et le prix de ce ralliement a sans doute la couleur du 16 rue de la Loi. Si on prend la mathématique pure, le poste devrait revenir au PS, premier parti et première famille politique au sein de la Vivaldi. Le céder aux libéraux (pour Alexander De Croo) ou au CD&V (pour Koen Geens) serait un incitant qui débloquerait, à coup sûr, bien des réticences. Il ne faut pas toujours croire les partis politiques qui vous assurent que seul le programme compte.