Mettre des idées dans le débat, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mercredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le débat présidentiel français qui opposera Emmanuel Macron à Marine Le Pen.

Ce sera donc ce soir à 21 h. Un débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Un débat dont beaucoup d’observateurs nous annoncent qu’il pourrait s’avérer décisif dans l’élection du prochain, ou de la prochaine présidente ou président de la République française.

Si on le décrit comme crucial, ou même comme décisif, ce débat, c’est parce que les deux candidats issus du premier tour seraient très proches l’un de l’autre dans les intentions de vote. Ce n’est pas tout à fait ce que disent les sondages. Pour deux sondages publiés aujourd’hui, Ipsos Sopra Stéria et Opinion Way, Emmanuel Macron obtiendrait 56 % des suffrages. Il y a deux jours, avec deux autres instituts, il était à 54 ou à 54,5 %. C’est un différentiel sensible, supérieur à la marge d’erreur, et surtout un écart qui semble s’accentuer entre le président sortant et la candidate du renouveau national.

Si les commentateurs estiment que malgré tout les jeux ne sont pas faits, c’est parce qu’on sait aussi que les capacités de mobilisation ne sont pas les mêmes. Marine Le Pen peut naturellement compter sur le report des voix qui s’étaient portées sur Éric Zemmour au premier tour et notamment sur le sentiment de rejet, de défiance, voire de colère que de nombreux électeurs éprouvent vis-à-vis du pouvoir en place. Une sorte de coalition des mécontents dont on ne sait pas exactement ce qu’elle représente, mais dont on pressent qu’elle est de plus en plus importante.

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En face, Emmanuel Macron est contraint d’endosser un rôle à l’opposé de celui qu’il occupait en 2017. À l’époque, il était le nouveau venu, celui qui incarnait le renouveau, il allait réinventer la politique et l’exercice du pouvoir. 5 ans plus tard, c’est une carte qu’il ne peut plus jouer. Au contraire, il est contraint d’assumer un bilan qui n’est pas toujours bien compris, avec des éléments de pure politique intérieure comme les gilets jaunes, mais aussi des événements extérieurs qui pèsent lourd sans que les hommes ou femmes politiques aient beaucoup de leviers en main, comme la crise du Covid ou la guerre en Ukraine.

Ce soir, Marine Le Pen devra donc s’efforcer de montrer qu’elle serait crédible dans la fonction présidentielle. Emmanuel Macron devra, lui, faire la démonstration qu’il est capable d’être à l’écoute, et en capacité d’infléchir sa politique dans le sens que les électeurs souhaiteront. Leurs échanges devraient durer près de 3 heures. Ils commenceront par le pouvoir d’achat, c’est ce qu’a décidé le tirage au sort, un thème à priori favorable à Marine Le Pen, qui aura la parole en premier. Les deux candidats le savent, il faut essayer de frapper fort dès le début, quand il y a un maximum d’audience. Ce qui n’empêche pas qu’une bonne formule finale puisse ensuite faire mouche et circuler sur les réseaux sociaux.

Ce qu’il faut espérer pour ce soir, c’est que l’on puisse dépasser la seule question des personnalités. Et qu’on ne se contente pas de dire que Marine Le Pen maîtrise mieux son agressivité qu’il y a 5 ans, ou qu’Emmanuel Macron n’est pas aussi hautain que ne le disent ses détracteurs. Et qu’on puisse surtout parler programme. Si on a bien compris que dire que l’un des candidats est d’extrême droite n’est plus suffisant pour plier une élection en 2022, expliquer ce que serait un gouvernement d’extrême droite ne serait pas du luxe. À l’heure du buzz, des réseaux sociaux, des émissions fourre-tout qui passent de la politique au people avec beaucoup de superficialité, une pincée de vulgarité et très peu d’intelligence, entrer dans les programmes et séparer le vrai du faux est devenu un vœu pieux. Ça n’intéresse plus. Si on veut sauver la démocratie, il serait salvateur qu’un vieux média comme la télévision, avec ce vieux concept du débat politique, arbitré par des journalistes qui travaillent leur dossier plus que leur profil Instagram, réussisse quand même à le faire.

Un édito de Fabrice Grosfilley

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20 avril 2022 - 18h10
Modifié le 20 avril 2022 - 18h49