L’édito de Fabrice Grosfilley : Ursula sur les braises
C’est un rituel de la vie parlementaire. À chaque rentrée, les députés entendent le pouvoir exécutif prononcer un discours qui permet de faire le point sur la situation du moment et de dresser les grandes lignes des actions à venir. C’est le discours sur l’état de l’Union aux États-Unis, le discours de rentrée de notre Premier ministre le deuxième mardi d’octobre au Parlement fédéral, les discours des ministres-présidents dans les parlements régionaux, et ce sera aussi le cas aujourd’hui à Strasbourg pour le niveau européen. Ce matin à Strasbourg, Ursula von der Leyen prononcera donc son discours sur l’état de l’Union. L’exercice sera plus que jamais scruté, parce que l’Europe traverse une zone de turbulences.
L’international d’abord : soutien à l’Ukraine, guerre à Gaza, relations avec les États-Unis. C’est sur ces points que les parlementaires, mais aussi la salle de presse, et au-delà d’elle l’opinion publique, attendent des réponses claires. Quel soutien apporterons-nous demain aux Ukrainiens ? Comment anticipons-nous la menace que la Russie pourrait faire peser demain sur les états baltes ou la Scandinavie ? Mais c’est surtout l’accord commercial conclu avec Washington qui soulève de vives critiques : 15 % de droits de douane pour les produits européens exportés vers les États-Unis, aucun droit de douane spécifique appliqué en sens inverse. Officiellement, on parle de « coopération renforcée ». Certains acteurs parlent, eux, « d’un acte de soumission ». Il y a quelques semaines, sur notre antenne, Yvan Verougstraete évoquait une forme de colonisation, un retour au monde féodal (ce sont bien les termes qu’il employait à la fin de notre interview). Il appelait à repousser l’accord, qui était selon lui une erreur historique. Un raisonnement que l’on retrouve encore ce matin dans une carte blanche publiée par le journal Le Soir.
Derrière le vernis du langage diplomatique, cet accord transatlantique ouvrirait donc largement nos marchés aux produits industriels et agricoles américains, tout en limitant les contreparties offertes à l’Europe. Il obligerait aussi l’Union à acheter pour 750 milliards d’euros d’énergie américaine — essentiellement du gaz liquide —, à garantir des investissements sur le sol américain, à se fournir en matériel militaire outre-Atlantique. En clair : une dépendance économique, énergétique et militaire renforcée.
Ursula von der Leyen devra donc convaincre que l’Europe n’est pas en train de se soumettre à un partenaire qui crie plus fort qu’elle. Elle devra aussi parler du quotidien des citoyens : inflation, compétitivité, budget post-2027, transition écologique et numérique, défense de nos standards sociaux et démocratiques. Est-ce qu’on arrivera, par exemple, à imposer nos réglementations sur la protection des données ou la lutte contre la désinformation à de grandes entreprises comme Meta ou X ?
Depuis 2010, ce discours de septembre vise à clarifier la direction que l’Union européenne entend suivre. Cette année, l’enjeu est peut-être plus existentiel : prouver que l’Union n’est pas devenue qu’un vaste marché ouvert, et qu’elle est une communauté politique capable de protéger ses citoyens, ses valeurs et son indépendance.
Ce matin, Ursula von der Leyen parlera sans doute d’espoir, de solidarité, de compétitivité. Mais ce que beaucoup écouteront, derrière les mots, c’est la réponse à cette question simple et redoutable : l’Europe choisit-elle encore son destin ? Peut-elle prétendre s’affranchir d’une forme de tutelle américaine, ou est-elle condamnée à danser au son d’une musique qui ne s’écrirait pas à Bruxelles ou à Strasbourg, mais plutôt à Washington ?





