L’édito de Fabrice Grosfilley : dis-moi où tu manges…
Dans son édito de ce mardi 28 novembre, Fabrice Grosfilley revient sur le guide Gault et Millau.
C’est un marronnier de la gastronomie (marronnier : cette figure journalistique qui revient sur le même phénomène, chaque année, à la même période). Hier, le guide Gault et Millau a publié son édition 2024 consacré à la Belgique et au Grand-Duché de Luxembourg. Le grand concurrent du Gault et Millau, le Michelin, paraitra lui au printemps prochain. On annonce que dans cette future édition du Michelin, il y aura les restaurants et les hôtels. L’an dernier, nous avions souligné que les grands guides avaient tendance à faire la part belle aux restaurateurs flamands et à bouder les établissements wallons et bruxellois. Ce n’est pas le cas avec les récompenses annoncées hier. Le chef de l’année est un wallon, Maxime Collard, et plusieurs chefs bruxellois ont été mis à l’honneur. Georges Athanassopoulos de “Maloma comptoir culinaire” à Schaerbeek fait partie des trois jeunes chefs à suivre, récompense amplement méritée pour cette très bonne adresse qui reste financièrement accessible. Plus cher, Mensa, le nouveau restaurant de Christophe Hardiquest (qui a voulu faire autre chose que son célèbre “Bon bon”) obtient d’emblée un 16,5 sur 20 et se classe donc directement au top. On retrouve également dans les plus de 16/20 Humous X Hortense, restaurant végétarien à Ixelles. Da Mimmo à Woluwe-Saint-Lambert est désigné meilleur restaurant italien de Belgique. Le meilleur sommelier de l’année est celui du Chalet de la Fort à Uccle , et le Bombay BBQ à Ixelles fait partie des endroits tendances à découvrir selon les inspecteurs. Bref, Bruxelles n’a pas été oubliée et on ne peut que s’en réjouir.
D’un côté, la gastronomie, de l’autre le portefeuille des gastronomes. Là, quelques restaurateurs ont de quoi déchanter. Selon une étude de Comeos parue hier, le secteur des restaurants aura connu une baisse de fréquentation de 10 % en l’espace de quatre ans. Comeos, pour rappel, est la fédération du commerce et des services, fédération patronale où on retrouve la grande distribution, mais aussi les grandes chaines de restaurants (concurrents des restaurateurs indépendants). Pourquoi comparer sur une période de quatre ans ? Parce qu’entre-temps la crise du Covid-19 est passée par là. L’étude a donc été menée auprès de 3.859 consommateurs, pour savoir quels produits nous utilisons pour nous nourrir à la maison, mais aussi à l’extérieur, sur notre lieu de travail par exemple. Pour la restauration hors domicile, la part des restaurants est donc passée de 51 % des repas à 43,5 %… À l’inverse, les fast-foods, progressent de 9,4 % à 17,1 %. Inquiétant aussi dans cette étude : le chiffre d’affaires du secteur Horeca aurait progressé moins vite que l’inflation.
On apprend aussi dans cette étude que 17 % des Belges recourent aux services de livraison de repas, avec les grandes multinationales et leurs coursiers à vélo. Ces chiffres valent ce qu’ils valent, il faudra sans doute attendre d’autres études qui émanent du service public fédéral économie pour avoir une photographie exacte de ce qui se passe dans ce secteur. Mais ils ont au moins le mérite d’objectiver un ressenti largement partagé par les fédérations Horeca ces derniers mois : la baisse de la fréquentation dans les restaurants, et aussi les restrictions que de nombreux Belges s’imposent. Moins de pouvoir d’achat, c’est moins de dépenses au restaurant. On privilégie les additions moins lourdes, on rogne sur le dessert, on évite les boissons alcoolisées, et (surtout) on vient moins souvent… Tous les restaurateurs le constatent, alors que (dans le même temps) le prix des matières premières est en hausse, que les salaires du personnel doivent être indexés et que les factures d’énergie explosent. C’est un effet ciseau auquel sont confrontés de nombreux restaurateurs. Avec une équation difficile, si on maintient la qualité, il faut augmenter les prix et prendre le risque de perdre une partie de sa clientèle. Si on n’augmente pas ses tarifs, il faut jouer sur la taille des assiettes ou trouver de nouvelles formules moins onéreuses pour garder la tête hors de l’eau.
Ces dernières semaines, plusieurs articles de presse tentaient de faire le tour de la question. Quel est le prix d’un bon repas, faut-il prévoir au moins 50 ou 100, voir 120 ou 150 euros par personne pour aller dans un bon restaurant ? Est-ce qu’en dessous de ces tarifs, on est forcément dans des plats faits à la va-vite, du réchauffé, voir des plats qui arrivent tout fait depuis un grossiste et que le restaurateur se contente d’assembler et dresser dans l’assiette ? La question animera tous les gastronomes. Mais on n’oubliera pas que ces questions existentielles ne concernent pas tous les Bruxellois. Loin de là. Il y a ceux qui fréquentent les restaurants. Ceux qui n’y vont que rarement. Et enfin ceux, qui sont les plus nombreux, pour qui la question ne se posera jamais.
Fabrice Grosfilley