L’éditorial de Fabrice Grosfilley : écouter la jeunesse
Dans son édito de ce lundi 25 septembre, Fabrice Grosfilley revient l’état de la santé mentale des jeunes.
Avons-nous perdu le contact avec la jeunesse ? Ces jeunes, sont-ils désormais réellement une génération sacrifiée ? Pourquoi ceux qui sont moins jeunes et occupent aujourd’hui des positions de pouvoir, dans le monde politique, mais aussi dans les entreprises, le commerce, l’enseignement, les syndicats, les médias, ne s’en préoccupent-ils pas davantage ? Ce sont les questions que je me suis posé ce week-end en découvrant une enquête lancée par Solidaris (autrefois la Mutualité Socialiste), et l’ASBL Lattitude Jeunes qui est son prolongement vers la jeunesse. Pour cette étude 700 jeunes entre 18 et 25 ans ont interrogés au printemps dernier et on peut dire que les résultats ne sont pas enthousiasmants.
D’abord la santé mentale. 41% des jeunes se disent anxieux on en dépression. Alors qu’ils seraient censés démarrer leur vie avec de l’ambition et le désir d’en profiter pleinement, c’est tout le contraire qui se passe. Quatre jeunes sur 10 sujets à des angoisses profondes, c’est plus que la moyenne des adultes, qui est de 33%. Le chiffre monte même à 60% pour les jeunes issus d’une famille économiquement modeste, on atteint même 70% pour ceux qui disent rencontrer des difficultés financières. La corrélation entre la stabilité financière et le niveau d’angoisse est donc particulièrement interpellante. L’argent en fait pas le bonheur, mais il y contribue fortement. On notera aussi que les jeunes filles sont plus angoissées que les jeunes garçons. C’est comme si la vague de mal être rencontrée lors de la période de la Covid19 (les ados et les étudiants étaient en grande partie privés de contacts humains.)
Ces questions de santé mentale sont d’autant plus interpellantes que du côté de la santé physique cela va bien : 7 jeunes sur 10 se disent plutôt en bonne santé. Un bémol : la santé des “NEETS”, c’est à dire ceux qui ne sont ni à l’emploi, ni étudiant, ni en stage, est beaucoup plus précaire. Les jeunes parents, qu’ils soient en couple ou dans une famille monoparentale, sont aussi en moins bonne santé que les autres.
Autre constat les sources d’angoisses potentielles des jeunes : c’est clairement l’environnement qui semble les préoccuper. 72% des jeunes se disent inquiets face aux changements climatiques, 64% estiment qu’il est important de consommer différemment, 77% disent déjà le faire. L’environnement est également en tête de ce qu’il considère comme devant être la priorité des prochains gouvernements, devant les inégalités sociales, la santé, l’enseignement… L’immigration, la mobilité, la sécurité, la retraite (ils en sont loin, c’est vrai), le chômage (cela devrait pourtant les préoccuper) et le bien-être animal arrivent loin derrière. Quand on compare cette liste de priorité avec les propositions déposées sur la table des différents parlements ou les déclarations de nos élus actuels on mesure plus qu’un décalage. Une sorte de fossés entre les générations. Conséquence dans ce sondage 64% des jeunes pensent que les politiques ne tentent pas vraiment d’agir pour améliorer la qualité de vie de la population. 71% des jeunes estiment que leur avis n’est pas pris en compte par le monde politique. Ces chiffres sont dramatiques. Ils indiquent bien plus qu’un désintérêt des jeunes pour la chose publique. On doit commencer à parler d’indifférence. Il n’est pas exclu que cela se traduise par un rejet.
Bien sûr, ce n’est qu’un sondage et Solidaris, son commanditaire, n’est pas un organisme neutre. Mais cette étude vient confirmer ce que d’autres enquêtes d’opinions ont déjà souvent constaté. Les jeunes ne se sentent pas concernés par nos débats publics qui à leurs yeux se consacrent à des polémiques du passé, oublient par leurs préoccupations et n’améliorent pas leur cadre de vie. Il y a d’ailleurs un autre chiffre interpellant à avoir en mémoire : la conviction pour 7 jeunes sur 10 qu’ils vivront moins bien que leurs parents. On peut hausser les épaules. On peut tenter des “opérations séduction”, comme la possibilité de voter à 16 ans aux prochaines élections européennes. Mais on doit surtout écouter les jeunes, les inclure dans nos raisonnements et nos processus de décision, et se dire que tous ceux qui ont une position de pouvoir, dans le monde politique dans les entreprises, le commerce, l’enseignement, les syndicats, les médias ont cette responsabilité. Que dans le cas contraire il n’est pas exclu que la jeunesse se révolte. Et qu’elle puise, comme cela a été le cas dans le passé, envoyer ceux qui ne l’écoutent pas, vers une voie de garage.
Fabrice Grosfilley