L’édito de Fabrice Grosfilley : la police, les jeunes et le kayak

C’est une affaire révélée par nos collègues de Sud Info hier matin et qui continue 24 heures plus tard de susciter énormément d’étonnement et de commentaires. Les faits datent du 1er juin, il y a pile une semaine. Ce jour-là une quinzaine de policiers de la zone ouest participent à un “team building”. Une descente de la Lesse en Kayak. Il s’agit de membres de la brigade d’intervention, des policiers habitués à aller sur le terrain, au contact, dans le stress de l’urgence et dans des situations parfois très conflictuelles voire dangereuse. Le même jour des élèves de l’athénée Serge Creuz font eux aussi une sortie en kayak. Les deux groupes se croisent. Et la rencontre va rapidement dégénérer.

Que s’est-il passé exactement, c’est difficile de le dire avec précision. Seule certitude : des coups violents ont été échangés entre les jeunes de l’athénée et des policiers. Bilan de l’altercation : 9 blessés du côté des forces de l’ordre (dont 4 policiers blessés assez sérieusement) et des arrêts-maladie pour les jeunes impliqués. Il semble aussi avéré que les policiers en civil avaient fort bien arrosé leur sortie et que plusieurs d’entre eux étaient “pris de boisson” pour employer une formule imagée. Après, qui a provoqué qui, quel a été l’élément déclencheur de cette bagarre générale, pourquoi a-t-il fallu l’intervention de la police locale de la Haute-Meuse pour calmer tout le monde, c’est plus difficile à établir, mais l’enquête est en cours. Les jeunes ont -ils manqué de respect aux policiers et aux policières de la zone ouest, comme le suggérait le premier article paru dans La Capitale, ou ces policiers se sont ils montrés délibérément agressifs, vexés de voir que les jeunes pagayaient mieux qu’eux comme on pouvait le lire 24 heures plus tard ? Le témoignage d’une mère de famille qui accompagnait les élèves sur RTL  parle en tout cas de propos racistes et de provocation délibérée.

L’incident peut faire sourire. Et on serait d’autant plus enclins à ricaner que d’après Sud Info ces pouciers sont les mêmes que ceux qui avaient été verbalisés à la fin de l’année 2020 pour avoir organisé une soirée raclette alors qu’on était en pleine période de limitation des contacts (les fameuses bulles réduites en raison de la crise Covid). Alors bien sûr, sourire, on peut toujours. Ce serait oublié qu’il y a quand même eu des coups échangés, et pas qu’un petit peu. Et que si la responsabilité de cette bagarre devait, après enquête, bien être attribuée aux policiers, et que s’il y a bien eu des propos menaçants et racistes tenus par ces agents, ou des menaces de représailles proférées, il faudra conclure qu’on est de nouveau face à un dérapage policier. Le fait que les agents ne soient pas en uniforme ou en service n’excuserait pas grand-chose.

Ce dérapage, s’il est confirmé, n’est pas anodin. Parce qu’il intervient dans un contexte où les interrogations sur la violence policière se multiplient. Il met en lumière des comportements policiers qui vont à l’encontre de ce qu’on doit attendre d’une brigade d’intervention : du sang-froid, la capacité de négocier et de dialoguer avant d’employer la force, le respect du justiciable qui est en face de vous, y compris quand il s’agit d’un délinquant, la capacité à ne pas céder aux provocations. Toutes ces qualités, qui, quand elles font défaut, donnent le sentiment à la jeunesse bruxelloise que la police est avant tout là pour la réprime et non pour la protéger. On ne peut pas d’un côté mener des actions de sensibilisation dans les écoles pour expliquer aux jeunes le rôle de la police, ses interventions au nom de l’intérêt général et la nécessité de respecter les policiers et leur travail, et de l’autre côté, tolérer que quelques brebis galeuse se comportent comme des shérifs qui échappent à tout contrôle. On ne paye pas les policiers avec nos impôts pour qu’ils fassent parler plus leurs muscles que leur intelligence et se comportent comme s’ils étaient au-dessus des lois.

Enfin une dernière considération. On a parlé de cette “lockdown party fromagère” au commissariat pendant la période Covid.  Quelques mois plus tard Sophie Wilmes, alors première ministre, avait un annoncé que les citoyens malgré les mesures de restrictions sanitaires seraient autorisés à faire du kayak. On voit que le kayak, cela ne réussit pas à tout le monde.

Fabrice Grosfilley