Procès des attentats de Bruxelles : Abdeslam alterne entre petit gars de Molenbeek et soldat de Dieu
Après le témoignage de la famille d’Hervé Bayingana Muhirwa lundi, la cour d’assises de Bruxelles a entendu encore mardi matin quelques témoins de moralité de l’accusé au procès des attentats du 22 mars 2016. Des experts français sont ensuite venus dresser le portrait psychologique de Salah Abdeslam.
12h44 – “Je ne comprends pas le geste d’Hervé” (cousin de l’accusé)
13h29 – Hervé Bayingana Muhirwa est un “traumatisé qui s’ignore”, selon un pasteur proche de lui
Hervé Bayingana Muhirwa a été marqué par le génocide au Rwanda, a expliqué mardi devant la cour d’assises de Bruxelles, au procès des attentats du 22 mars 2016, un pasteur qui est proche de la famille de cet accusé. Pour le témoin, le Laekenois de 38 ans est un rescapé de guerre, un “traumatisé qui s’ignore”, qui avait besoin d’un entourage et s’est tourné vers l’Islam.
Selon lui, il a fait des “erreurs de jugement” en côtoyant des personnes radicalisées, mais il serait “injuste de lui faire porter le poids des attentats”.
“La famille d’Hervé a vécu le génocide au Rwanda, puis le déracinement pour rejoindre l’Ouganda, et un second déracinement pour venir en Belgique, à Molenbeek-Saint-Jean. Elle a ensuite vécu la mort de Nicolas [frère d’Hervé], dont les circonstances restent encore inconnues”, a raconté le pasteur.
À la question de la présidente de savoir si l’accusé a manqué d’un référent dans son enfance, le témoin a répondu par l’affirmative. “Certainement oui. Et la condition sociale joue un rôle aussi. Le cas d’Hervé est un cas d’école. Je veux dire qu’il est évident qu’il y a des endroits où les prêcheurs de la haine agissent plus facilement, là où la précarité et le mal-être des jeunes sont présents. Dans une autre région ou une autre commune, Hervé n’aurait peut-être pas fait ces rencontres [avec certains autres accusés, musulmans radicaux]”.
Hervé Bayingana Muhirwa était-il renfermé sur lui-même, comme un “volcan prêt à entrer en éruption”, a tenté de savoir la présidente. “C’est difficile à dire. Il y a toujours cette peur de parler du génocide rwandais, de s’ouvrir. C’est connu dans la communauté rwandaise, car il y a cette crainte qu’aujourd’hui encore on subisse les conséquences de ce que l’on révèle”, a expliqué l’homme d’Église.
Pour terminer, ce dernier a livré son impression, non sans émotion. “La justice doit toujours être empreinte de miséricorde, surtout pour ce rescapé du génocide rwandais. C’est un traumatisé qui s’ignore, il a vécu tant de souffrance… Je suis du côté des victimes, mais lui faire porter le poids de ces attentats sera injuste. Il est ce qu’il est, mais il n’est pas un danger public. Il a fait des erreurs de jugement j’en suis convaincu, mais elles ne méritent pas de le condamner pour ces attaques”.
La cour a également entendu mardi matin un responsable de la Croix-Rouge, où Hervé Bayingana Muhirwa a travaillé. Celui-ci l’a décrit comme quelqu’un de “réservé, très calme, comme tous les Rwandais”. Ce témoin a précisé qu’il n’a vu “aucun signe avant-coureur de radicalisme” chez cet homme qu’il a présenté comme un bon employé.
18h12 – Abdeslam alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu
“Salah Abdeslam alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu. Le sujet oscille entre la revendication d’un engagement déterminé et la manifestation d’une humanité“, est-il ressorti d’un rapport d’expertise psychiatrique réalisé en novembre 2021, au cours du procès des attentats à Paris. Ce rapport a été présenté mardi après-midi devant la cour d’assises de Bruxelles par l’un de ses auteurs, le docteur Daniel Zaguri.
Dans ce rapport, les psychiatres, qui ne se sont entretenus qu’une seule fois avec Salah Abdeslam durant 2h30, reviennent sur son parcours de vie, son entrée dans la vie professionnelle et son adhésion au modèle de l’État islamique, “cet arsenal déshumanisant”.
“Salah Abdeslam nous décrit d’abord son enfance et ses origines marocaines, mais très brièvement, sans entrer dans les détails“, a exposé l’expert psychiatre français. “Comme s’il voulait se désarrimer de l’histoire familiale, ne voulant pas mêler ce cercle (proche) à l’opprobre du procès“.
“Mais ensuite, quand il aborde les faits, son discours est entier et sans nuance. Le choix du combat était, à ses yeux, une action de guerre nécessaire liée à l’intervention militaire des Français en Syrie et aux exactions commises par le régime de Bachar el-Assad“, a-t-il expliqué. L’accusé a cependant exprimé une forme d’empathie vis-à-vis des victimes. “Il dit ne pas être insensible à leur souffrance, tout en soulignant le fait que ces victimes sont la conséquence d’un mal initié par d’autres“.
Au cours de son entrevue avec les médecins, Salah Abdeslam répétera à plusieurs reprises “ne pas avoir de sang sur les mains”, un peu comme s’il récusait l’idée de violence gratuite, a avancé Daniel Zaguri avec précaution.
“À chaque question qu’on lui posait, il nous récitait le bréviaire des radicalisés mais pas comme un perroquet. On sentait que sa carapace n’était pas si solide que ça. On avait l’impression qu’un vacillement, une oscillation était à l’œuvre“, a-t-il précisé.
Interrogé sur la radicalisation de Salah Abdeslam, l’expert a répondu que l’accusé était “un homme-système comme tous les sujets radicalisés, embrigadés dans un régime autoritaire“. Il a ajouté que “néanmoins on sent que l’homme-système n’a pas complètement fait disparaître l’homme, sa personnalité intérieure n’a pas été complètement enfouie. Il est traversé par des courants contraires“.
L’expert a aussi déclaré que “dès le départ et tout au long de notre entretien, il a insisté pour que l’on montre de lui une image plus humaine que celle que réverbéraient les médias“.
18h47 – “Bien sûr j’ai de l’humanité” , déclare Salah Abdeslam
Salah Abdeslam a assuré à la cour qu’il avait abandonné sa ceinture explosive le 13 novembre 2015 à Paris, mais aussi qu’il l’avait désamorcée. Pour les procureurs fédéraux, cela n’a pas été établi par la cour d’assises de Paris, mais Salah Abdeslam a insisté, déclarant qu’il avait enlevé l’interrupteur et la pile de la bombe avant de la laisser sur place, pour éviter de blesser des personnes.
“Bien sûr j’ai de l’humanité, j’ai fait le bon choix à ce moment-là. J’ai été jugé de toute façon. Je voulais dire qu’il y a de l’évolution voilà. J’ai fait preuve de respect à l’égard des victimes, j’ai participé aux débats, j’ai collaboré… Ça montre qu’il y a de l’évolution, seul un aveugle dirait le contraire“, a déclaré l’accusé.
“J’essaie de construire un avenir malgré le calvaire que j’ai subi en France [soit une incarcération en régime strict], et malgré toutes ces choses que j’ai sur les épaules et avec lesquelles je dois vivre. J’ai perdu un frère, j’ai ma famille qui est détruite, j’ai un avenir incertain, mais j’essaie de me battre, de rester vivant“, a-t-il encore dit.
Avec Belga