Procès des attentats : l’interrogatoire des accusés se termine, les parties font un premier bilan
L’interrogatoire croisé des accusés devrait s’achever ce jeudi, au procès des attentats de Bruxelles.
C’est une audience “au finish“ qui est prévue ce jeudi les jurés du procès des attentats de Bruxelles, d’après les termes utilisés par Laurence Massart, la présidente de la cour. Celle-ci a conseillé ce mercredi aux jurés de “bloquer leur soirée“, pour que cette phase du procès puisse s’achever aujourd’hui.
Le Parquet fédéral estime ainsi avoir besoin d’une demi-journée, ce jeudi, pour ses questions. Avant celles des parties civiles et de la défense, qui doit également réaliser des commentaires sur l’interrogatoire, “sauf si cela devient déraisonnable“, a expliqué Laurence Massart.
Dès lundi, le procès entrera dans une nouvelle phase, avec les témoignages des différents experts et témoins de contexte.
12h30 – Des échanges plus tendus
Les procureurs fédéraux ont questionné les accusés sur des détails de l’interrogatoire mené ces derniers jours par la présidente de la cour d’assises. Les échanges se voulaient plus tendus, en raison de ces questions sur ces détails.
Tous les accusés, à l’exception d’Osama Krayem, ont accepté de répondre à ces questions, même si certains continuent de nier leur culpabilité.
13h00 – Salah Abdeslam soutient qu’il ne faisait qu’exécuter des ordres
Les procureurs ont interrogé Salah Abdeslam, jeudi matin au procès des attentats du 22 mars 2016, au sujet des nombreux chargeurs qui étaient présents dans la planque de la cellule terroriste rue du Dries à Forest. “Je suis arrivé dans cet appartement sous la contrainte”, a répondu l’accusé. “Je n’étais pas logisticien, je n’ai pas cherché à savoir à quoi servaient ces chargeurs.” Salah Abdeslam a soutenu qu’il ne faisait qu’exécuter des ordres au sein de la cellule terroriste. “Je ne me suis pas servi de ces armes, j’ai pris la fuite”, a-t-il ajouté.
“Je suis là dans cet appartement pour une seule raison: me cacher. Je n’avais pas mon mot à dire”, a-t-il précisé pour insister sur le fait qu’il n’était pas un décideur. La parole a été donnée, jeudi matin, devant la cour d’assises de Bruxelles, aux procureurs pour leurs questions aux accusés. Bernard Michel et Paule Somers ont interrogé plusieurs d’entre eux sur divers aspects du dossier, de leur séjour en Syrie (pour ceux qui s’y sont rendus) à des détails plus précis sur les jours précédant ou suivant les attentats. Les accusés se sont montrés beaucoup plus tendus dans leurs réponses que lors de l’interrogatoire par la présidente, refusant parfois de répondre à certaines d’entre elles.
Lors de cette séance de questions-réponses, les procureurs ont notamment demandé Mohamed Abrini si, comme Salah Abdeslam, il avait été orienté vers la Syrie, lorsqu’il est revenu de Paris la veille des attentats du 13 novembre 2015. “Abaaoud m’a passé un téléphone pour que j’appelle la cache à Bruxelles. Je l’ai jeté dès Paris et je suis retourné travailler dans mon snack. Quand El Bakraoui est venu me chercher, il a certainement compris que je n’étais pas un élément fiable, d’où ils ne m’ont pas proposé à moi de partir en Syrie. Quand il est venu me chercher au snack, je n’ai pas eu d’autres choix que de le suivre en fait”, a-t-il répondu.
Bilal El Makhoukhi, lui, a notamment réaffirmé clairement qu’il savait que Najim Laachraoui préparait des attentats lorsqu’il l’a revu peu avant. “Najim m’a dit qu’il était là pour faire des attentats en Europe. De toute façon, à partir du moment où on se voit dans la clandestinité et où il me demande des armes et de trouver des appartements, je me doute que c’est pour ça. En plus, il y avait eu les attentats de Paris avant”, a-t-il déclaré. “Après, j’étais pas dans la confidence de où, quoi, comment. Moi je comptais repartir en Syrie.”
Quant à Ali El Haddad Asufi, il a été interrogé en particulier sur ce qu’il connaissait des projets d’Ibrahim El Bakraoui lorsque ce dernier s’est installé, à l’automne 2015, dans la planque de l’avenue des Casernes. Selon lui, son ami se cachait pour fuir des poursuites judiciaires à la suite d’un braquage qu’il avait commis, il ne savait pas qu’il préparait un attentat. “Ibrahim se cachait juste le temps de savoir si on avait découvert des éléments qui pouvaient mener à lui, ça ne devait durer qu’un temps. Pour nous, il allait revenir à sa vie normale après. Il devait rester trois ou quatre jours avenue des Casernes à la base.”
13h32 – Du respect et de la compassion pour les victimes, mais pas forcément d’excuses
“Demander pardon aux victimes, c’est reconnaître ma culpabilité dans les faits, et comme je l’ai expliqué, ce ne sont pas mes victimes“, a déclaré jeudi matin l’accusé Salah Abdeslam à la question de Me Gabie-Ange Mingana, avocat de parties civiles, de savoir si les accusés du procès des attentats de Bruxelles “étaient prêts sept ans plus tard à demander pardon“. Tous les accusés qui ont pris la parole ont exprimé la compassion et le respect qu’ils avaient pour les victimes, mais la plupart ont mis en opposition la demande de pardon et la présomption d’innocence dont ils doivent bénéficier.
Salah Abdeslam a tenu à rappeler qu’au moment des témoignages des parties civiles, tout au long du mois de mars, il était resté à l’audience, alors qu’il passait ses journées en cellule avant cela. “Je suis resté pour les écouter et entendre leur souffrance. C’est comme ça que je témoigne ma compassion et mon respect. Mais si je présente mes excuses, c’est que j’ai fait quelque chose et ce n’est pas le cas.“
“Quand on voit l’intention de départ, et le résultat des deux côtés, on ne peut pas être satisfaits“, a répondu Sofien Ayari. “Comment ne pas avoir de regret sur certains choix ? Certaines façons de faire ?” Il n’a cependant pas voulu aller dans le sens de l’avocat. “Il ne suffit pas de dire des mots précis pour faire plaisir, c’est plus compliqué que ça (…) je souhaite (aux victimes) du courage et de pouvoir se reconstruire.“
L’accusé Abrini a de son côté affirmé avoir “déjà entrepris ces démarches avec des victimes“, indiquant à la cour que certaines parties civiles de Paris avaient souhaité le rencontrer via un médiateur, ce qu’il a accepté.
Hervé Bayingana Muhirwa a lui déclaré avoir “présenté mes excuses lors de chacune” de ses auditions. “Je n’ai pas attendu 2023 pour le faire“, tandis que Bilal El Makhoukhi a estimé que cela devait venir “spontanément“. “Franchement j’en ai envie, mais il faut que ça soit sincère, pas parce que vous m’avez posé la question.”
Ali El Haddad Asufi s’est dit “admiratif” d’entendre les victimes dire qu’elles pardonnaient, “car il faut beaucoup de force pour ça“. “Mais je suis clair depuis le début: je n’ai jamais voulu ce qui est arrivé, et n’y ai participé ni de près ni de loin. C’est un peu dérangeant de la part d’un professionnel de la Justice de remettre en cause la présomption d’innocence. Certains ne sont tout simplement pas coupables“, a-t-il déclaré. Les frères Farisi ont abondé dans son sens, Smail se demandant s’il devrait également payer pour “la Seconde Guerre mondiale, Hiroshima ou d’autres désastres précédents“. “Je suis triste, mais je n’ai rien à voir avec ça.”
14h20 – Abrini affirme qu’il ne s’avait pas que Krayem renoncerait comme lui à se faire exploser
Mohamed Abrini a déclaré, jeudi, sur question d’un avocat de la partie civile, au procès des attentats du 22 mars 2016, qu’il ne savait pas qu’Osama Krayem renoncerait comme lui à actionner sa bombe. “J’ignorais que Krayem n’allait pas aller jusqu’au bout. En fait, j’ai un secret que Krayem ignore, et lui a aussi ce secret au fond de lui-même“, a-t-il dit devant la cour d’assises de Bruxelles.
“Non, il n’y avait pas de plan concerté entre nous“, a poursuivi Abrini. “D’ailleurs, on ne s’est plus vu après que lui est allé dans l’appartement de l’avenue des Casernes et que moi je suis resté à celui de la rue Max Roos. J’ai été étonné de le voir après, à l’appartement de la rue du Tivoli“, a-t-il raconté.
Mohamed Abrini a également été interrogé par un autre avocat de la partie civile au sujet de ce qu’auraient été ses projets s’il avait été orienté vers la Syrie par la cellule terroriste, après les attentats à Paris. “J’y aurais simplement vécu sous la loi divine et pratiqué au mieux ma religion. Je commençais à me remettre en question, à me repentir de tout ça, alors j’avais besoin d’être cadré. Je me connais, je suis faible, et donc j’ai besoin d’un cadre. Il y a aussi le fait que mon petit frère, de qui j’étais très proche, a vécu là-bas ses derniers mois de vie“, a déclaré l’accusé. La même question a été posée à Salah Abdeslam qui a simplement répondu “pour trouver la paix et la sécurité, car ici j’étais recherché“.
Me Guillaume Lys, conseil de la partie civile, a par ailleurs questionné Bilal El Makhoukhi au sujet des armes qui n’ont pas été retrouvées et qu’il était chargé de cacher. “Si ça ne mettait en cause que moi, je dirais où elles sont“, a-t-il répondu. “Ça ne m’arrange pas de ne pas le dire. Le problème, c’est que je les ai confiées à des gens, qui ne sont pas liés à du terrorisme, même si ce ne sont pas des enfants de chœur“, a-t-il répondu. “S’il avait dû se passer quelque chose, en sept ans, ce serait arrivé. Je ne veux pas ramener d’autres personnes dans le box. Moi, ça m’enfonce de pas le dire, mais je ne veux pas que des gens entrent en prison à cause de moi.“
18h49 – Les accusés n’ont pas saisi l’occasion de présenter des excuses
L’un des avocats de la partie civile a voulu tendre une perche aux accusés en leur permettant de présenter des excuses et de demander pardon, jeudi, devant la cour d’assises de Bruxelles, au procès des attentats du 22 mars 2016. Elle n’a pas été saisie par les accusés, du moins cette fois-ci. Pour certains accusés, la question des excuses n’a pas sa place dans les débats actuellement, puisque la question de leur responsabilité n’est pas encore tranchée.
L’audience de jeudi a laissé place aux questions, tout d’abord des procureurs, puis des avocats de la partie civile et enfin des avocats de la défense. Ce sont celles d’avocats de la partie civile qui ont donné lieu à des réponses plus étoffées des accusés, notamment lorsque Me Gabie-Ange Mindana a tenté de savoir s’ils “étaient prêts, sept ans plus tard, à demander pardon”.
Pour Salah Abdeslam, “demander pardon aux victimes, c’est reconnaître ma culpabilité dans les faits, et comme je l’ai expliqué, ce ne sont pas mes victimes”. Abdeslam a tenu à rappeler qu’au moment des témoignages des victimes, tout au long du mois de mars, il était resté à l’audience, alors qu’il passait ses journées en cellule avant cela. “Je suis resté pour les écouter et entendre leur souffrance. C’est comme ça que je témoigne ma compassion et mon respect. Mais si je présente mes excuses, c’est que j’ai fait quelque chose et ce n’est pas le cas.”
La présomption d’innocence avant tout, c’est ce sur quoi a insisté aussi Ali El Haddad Asufi. Il s’est dit “admiratif” d’entendre certaines victimes dire qu’elles pardonnaient. “Mais, je suis clair depuis le début: je n’ai jamais voulu ce qui est arrivé, et n’y ai participé ni de près ni de loin”, a-t-il ajouté. “C’est un peu dérangeant de la part d’un professionnel de la Justice de remettre en cause la présomption d’innocence. Certains ne sont tout simplement pas coupables.”
Sofien Ayari et Mohamed Abrini n’ont pas fermé à la porte à une telle démarche de demande de pardon, sans pour autant saisir l’occasion ce jeudi. “Comment ne pas avoir de regret sur certains choix? Certaines façons de faire?”, a déclaré Sofien Ayari, mais, a-t-il ensuite ajouté: “il ne suffit pas de dire des mots précis pour faire plaisir, c’est plus compliqué que ça”. Il a souhaité aux victimes “du courage et de pouvoir se reconstruire“.
Mohamed Abrini, lui, a affirmé avoir “déjà entrepris ces démarches avec des victimes” des attentats à Paris, annonçant avoir accepté de rencontrer certaines d’entre elles via un service de médiation. “Moi, j’ai une part de responsabilité et bien entendu ça fait mal au cœur d’entendre ça [la souffrance endurée par les victimes]. Je préfère recevoir une gifle”, a-t-il lancé.
Jeudi après-midi, la parole a été donnée à la défense pour ses questions et commentaires. Plusieurs avocats se sont offusqués des termes utilisés par le parquet fédéral pour qualifier un jugement d’acquittement rendu par les Pays-Bas au sujet de A.A., cousin d’Ali El Haddad Asufi. Cet homme avait été soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire entre des vendeurs d’armes et Khalid El Bakraoui.
“C’est extraordinaire! Vous osez dire que cette décision d’acquittement rendue aux Pays-Bas est un jugement politique parce que la décision ne vous convient pas“, a commenté le conseil de Sofien Ayari, Me Isa Gultaslar, tourné vers les procureurs fédéraux. “Merci! C’est la meilleure démonstration pour dire qu’il n’y avait rien”, a-t-il ajouté. Me Bouchat, conseil de Salah Abdeslam, s’est dit aussi “profondément troublé” d’entendre parler de jugement politique de la part d’un représentant de la société. “Humilier un jugement dans cette salle d’audience, c’est quelque chose de très grave”, a renchéri Me Vincent Lurquin, l’avocat d’Hervé Bayingana Muhirwa.
Sur le fond du dossier, les avocats ont tenu surtout à rectifier des éléments précis de l’enquête concernant leurs clients, notamment, pour Smaïl Farisi, que ce dernier n’a fait l’objet d’aucune question de la part du parquet fédéral. Ses avocats, Me Michel De Grève et Me Fabian Lauvaux, ont évoqué plusieurs auditions d’Osama Krayem dans lesquelles il affirme que Smaïl Farisi n’était au courant de rien. Pour clore cette phase des interrogatoires des accusés, Me Lurquin a également déclaré: “j’ai le sentiment que les lignes ont bougé, que les accusés ont écouté les victimes et ont décidé, eux aussi, à leur tour, de parler. Ce petit bout d’humanité a été donné”.
■ Reportage de Camille Tang Quynh, Charles Carpreau et Séverine Rondeau