Salaire des élus : vrai signal et faux problème, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito la réduction des salaires des ministres et parlementaires proposée par Alexander De Croo.
Et tout d’un coup, le salaire des élus devint un problème à régler d’urgence. On va donc baisser le traitement de tous les ministres de 8 % a décidé le Premier ministre pour le gouvernement fédéral. “Excellente idée“ trouvèrent ses partenaires de majorité qui proposent pour la plupart d’étendre la mesure à tous les niveaux de pouvoir, pour les ministres comme pour les parlementaires.
Ce soudain emballement autour de la rémunération des élus, il a deux origines. La première, c’est la grande difficulté que rencontrent de nombreux Belges à payer leur facture d’énergie. Il y a de l’angoisse et de la colère. Le sentiment d’être soumis à une injustice qui n’est pas suffisamment prise en compte et corrigée par les autorités politiques. Dire qu’on diminue le salaire des puissants, c’est une manière de dire que le monde politique n’est pas sourd et qu’il a compris le message.
La seconde, c’est la communication inhabituelle d’un secrétaire d’État, Mathieu Michel, qui, interrogé par Christophe Deborsus, a voulu jouer la transparence et a annoncé un salaire net de 14 000 euros alors qu’habituellement les élus préfèrent tourner autour du pot. En réalité, un secrétaire d’État gagne plutôt 11 000 euros, Mathieu Michel a voulu y inclure sa voiture de fonctions et d’autres indemnités, il a fait un calcul à la grosse louche et mis involontairement le feu aux poudres.
Ça peut paraître étonnant, mais c’est vrai, la plupart des élus ne savent pas exactement combien ils gagnent. Parce qu’ils ont des primes pour certaines fonctions parlementaires, ou parce qu’ils rétrocèdent une partie et parfois une très grosse partie de leur salaire à leur formation politique. Mais à l’évidence, la fin de mois leur est moins douloureuse que pour le citoyen lambda. Un ministre gagne environ 10 000 euros nets et un parlementaire à peu près 6 000 euros.
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Nos élus sont à l’abri des difficultés, et comme ils bénéficient du mécanisme de l’indexation, leur salaire n’arrête pas d’augmenter. La proposition d’Alexander de Croo est donc de raboter les salaires de tous les membres de son gouvernement de 8 %. Ça revient donc à gommer le mécanisme d’indexation. “Très bien” entend-on dans la majorité. Étendons le principe aux députés. Faisons la même chose aux autres niveaux pouvoir. Et dans l’opposition, on surenchérit. “Allez 8 %”, “je propose 10”, “et moi 50%.” C’est la surenchère, comme si c’étaient les soldes sur la représentation démocratique.
Alors bien sûr, il y a un signal avec ces baisses de salaire. C’est l’idée de montrer qu’on a compris le malaise et qu’on ne vit pas dans un monde à part. Mais il faut peut-être éviter de s’engouffrer dans le populisme. Bien sûr, ces salaires sont nettement supérieurs à la moyenne. Mais ils sont au niveau de ce que gagnent des médecins spécialistes, des fonctionnaires européens, des directeurs ou des chefs de service dans une grande multinationale, des avocats d’affaires, etc. Rien n’empêche de les diviser par deux pour les ramener dans la moyenne… Mais est-ce qu’on imagine vraiment un ministre donner des ordres aux responsables d’une administration qui gagnerait plus que lui ? Est-ce qu’on veut que la carrière politique soit à ce point démonétisée qu’il soit toujours préférable d’aller dans le privé.
La diminution de salaire proposée par Alexander De Croo va permettre à l’État d’économiser 450 000 euros. Le budget de l’État, ce sont 250 milliards d’euros. Dans le conclave budgétaire qui a lieue ces jours-ci, le ministre des Finances a proposé une taxation de 15 % sur des multinationales qui échappent à l’impôt parce qu’elles ont à l’étranger. Elle pourrait rapporter 400 millions d’euros, 100 fois plus que la réduction des salaires ministériels. On parle de taxation sur les superprofits du secteur de l’énergie qui dépasserait les 4 milliards. Mille fois plus que la réduction de salaires des ministres. Alors c’est très sympathique d’accepter de diminuer son salaire. Si c’est pour ne pas aboutir sur les mesures réellement efficaces, c’est ce qu’on appelle un attrape-nigaud.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley