Les cas qui arrivent en cardiologie sont plus graves
Pendant les mois du confinement, le nombre de patients qui se sont présentés aux urgences avec d’autres problèmes de santé qu’une suspicion de coronavirus, a été beaucoup moins élevé que d’habitude. Peur d’aller aux urgences et de contracter le Covid-19 ou tout simplement une volonté de ne pas engorger les services, le Belge a délaissé sa santé. Aujourd’hui, notamment en cardiologie, les personnes arrivent aux urgences ou en consultation avec des pathologies plus graves.
C’était une crainte des spécialistes. Les personnes souffrantes ne se sont pas faites soigner pendant le confinement. L’UCLouvain vient d’ailleurs de publier une étude à ce sujet. 50% des Belges ont renoncé à des soins durant la crise et 40% n’ont pas signalé un problème survenu pendant le confinement.
Une personne sur deux qui a participé à l’étude de l’UCLouvain, affirme avoir renoncer à des soins de spécialistes. Beaucoup de spécialistes avaient de toute manière suspendu leurs consultations durant le pic de l’épidémie. 38,7% ont renoncé à un soin dentaire, 33,6% à des soins paramédicaux et 19% à une visite chez le généraliste. Pour 10% de l’échantillon, la raison de ces annulations était la peur d’attraper le coronavirus.
38,6% ont aussi eu un problème de santé et ne sont pas allés consulter alors qu’ils l’auraient fait en temps normal. Et dans le futur, 34,8% consulteraient un médecin mais 48,9% ne consulteraient que s’ils jugent le problème sévère. Enfin, 15,8% estiment que le renoncement aux soins durant le confinement a détérioré leur état de santé. Ces données pourraient être même sous-estimées car les répondants sont majoritairement des femmes avec un haut niveau de diplôme. Or, ce sont souvent les personnes défavorisées qui délaissent plus les soins de santé.
Des cas plus graves en cardiologie
Cette dégradation de l’état de santé, les cardiologues la constatent déjà. Les personnes qui viennent aujourd’hui pour une consultation ou aux urgences pour un problème cardiaque, arrivent souvent dans un état plus grave. “Nous avons vu deux choses : des patients ont tardé à venir et leurs pathologies sont plus avancées, explique le Professeur en cardiologie Christophe Beauloye des cliniques universitaires Saint-Luc. Nous n’avons pas encore de chiffres officiels mais il est vrai que certains patients ont pu faire des infarctus plus longtemps chez eux et quand ils reviennent maintenant, leur cœur est plus abîmé.”
Durant le confinement, les personnes se rendant aux urgences pour des infarctus ont disparu. En France et en Italie, des études démontrent que le nombre de patients venant pour un infarctus a été divisé par deux durant le confinement. “Et maintenant, les gens qui y vont ont des maladies deux fois plus graves, constate Jean-Luc Vandenbossche, cardiologue. Les consultations en cabinet reprennent tout doucement. Aux urgences, on n’a pas encore atteint la vitesse de croisière mais effectivement, les problèmes cardiaques sont plus importants. Il se pourrait aussi que cela ait une conséquence sur le long terme pour les patients. Ceux qui ont des insuffisances cardiaques peuvent se retrouver avec des décompensation alors que s’ils avaient eu des médicaments à temps, cela aurait pu s’arranger.”
Les cardiologues pensent aussi que certains patients sont décédés durant le confinement parce qu’ils n’ont pas osé se rendre à l’hôpital. “J’ai participé au SMUR durant le confinement, se rappelle Kenneth Coenye, médecin-chef des cliniques Saint-Jean. J’ai une formation d’urgentiste et il y a des cas qui ne sont pas normaux. J’ai trouvé des personnes décédées chez elles, relativement jeunes, sans cause externe. Cela n’est pas logique. A chaque fois, j’ai demandé des autopsies mais d’autres collègues ont certainement inscrit cela comme mort naturelle. Dans la surmortalité que nous avons enregistrée, tout n’est pas lié au Covid. Des arrêts cardiaques ont eu lieu aussi.”
Des patients plus jeunes
Si les pathologies sont plus avancées, les patients sont aussi plus jeunes avec une moyenne de 60 ans. “Ils ne sont pas venus durant le confinement et peut-être que leur nouveau mode de vie a eu une influence sur leur cœur, commente Jo Kadou, chef des urgences du Chirec Delta. Aujourd’hui, le nombre d’hospitalisations pour problèmes cardiaques est plus important que d’habitude même si nous n’avons pas encore repris notre rythme de croisière. Nous avons toujours moins de patients qui viennent aux urgences qu’en temps normal.” Au Chirec, une vingtaine de personnes sont hospitalisées quotidiennement en cardiologie.
On a fait le même constat aux cliniques Saint-Luc. “Les patients sont plus jeunes, les pathologies plus lourdes, conclut Christophe Beauloye. Par contre, nous ne voyons pas plus d’hommes que de femmes. Mais il est clair que cette absence de soins aura des conséquences sur la santé des Belges sur le moyen terme et ce, quelle que soit la pathologie.”
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga/Thierry Roge