“Des comitardes ligotées se sont fait raser la tête”
Le 9 novembre, la cérémonie de baptême de l’ISTI (l’école interprétariat de l’ULB) a choqué plus d’un participant. Nudité féminine sur scène, rasage de cheveux en public ont fait pensé aux moments les plus sombres de notre histoire contemporaine. Pour une partie des membres présents, les valeurs apprises lors de leurs études ont été tout simplement bafouées sous couvert du changement et du libre examen. Pour l’ULB, il n’en est rien même si le rectorat a pris l’affaire au sérieux.
Lors du folklore étudiant, il n’est pas rare que les faits soient poussés à l’extrême. Les dérives du passé ont amené les cercles à être plus attentifs aux pratiques des comitards (les encadrants) et chacun doit signer une charte du folklore estudiantin. Après, dans la pratique, chaque cercle a sa propre tradition. Certains sont réputés comme étant plus durs que d’autres, poussant les bleus (ceux de première année qui deviendront des baptisés) dans leur retranchement. Une manière de se découvrir, de réfléchir sur la notion d’autorité, de respect de l’autre, du respect de soi. Le folklore est en réalité très codifié selon les sections et déroger à ces principes, c’est s’exposer aux foudres des anciens. C’est ce qu’ont vécu les comitards du cercle STI cette année.
“J’ai été très choquée par ce que j’ai vu, raconte Iris (prénom d’emprunt), baptisée voici près de 10 ans. J’ai déjà fait plusieurs baptêmes depuis mais là, c’était vraiment très trash.” Concrètement, lors de la cérémonie codifiée de cette soirée, des jeunes femmes se sont retrouvées entièrement nues sur scène, à courir dans tous les sens. Ensuite, deux d’entre elles, ont été attachées à une chaise, les mains ligotées et ont eu le crâne rasé par deux garçons alors qu’elles avaient les cheveux longs. “Dans les baptêmes traditionnellement, les femmes restent en sous-vêtements. Il n’y a que les hommes qui sont nus. En tout cas dans notre cercle. C’est une prise de position dont on peut discuter mais le rasage en public était insoutenable. Une de mes amies est juive. Elle était avec moi ce soir-là et pleurait. Elle avait l’impression qu’on s’amusait avec ce que sa famille a vécu.”
Il n’y a pas que pour Iris que cela a été trop loin. Une autre ancienne étudiante, et ancienne comitarde qui elle est restée dans les groupes folkloriques après ses études, nous a expliqué son incompréhension face à cette mise en scène. “Nous choisissons un cercle pour ses valeurs. On nous inculque une manière de penser, des valeurs précises dans lesquelles on se reconnait. Ce que j’ai vu ce soir-là, ce n’était pas mes valeurs. Il y a une perte de sens. On peut se battre en tant que femme pour l’égalité, cela me semble même indispensable. Mais là, je n’ai rien vu de tout cela. Je ne suis pas opposée aux changements dans la tradition mais il faut y aller petit à petit. Il faut rester sur les mêmes bases. Cela nous représente aussi à l’extérieur. Le rasage était évidemment le summum. Il fallait choquer pour choquer.”
Les comitards : “C’est une mauvaise interprétation”
Après la soirée, les conversations sur les réseaux sociaux s’enflamment. “Il était un temps où le cercle avait des valeurs et des principes”, marque un participant. “Ce n’est pas de la haine mais de la déception”, “plus on dépasse une limite, plus on normalise”, “un cercle adapte son baptême à son époque et aux idées défendues pendant la bleusaille”, répond un défenseur. Certains évoquent le librex, d’autres la tradition.
“Nous étions consentantes, nous raconte Mathilde (prénom d’emprunt), une des deux jeunes femmes dont les cheveux ont été rasés sur scène. Je fais partie du comité de baptême et cette année, nous avons voulu proposer un spectacle sur le thème du film La Purge (NDLR une série de films d’horreur où une nuit par an aux Etats-Unis, tout le monde peut faire ce qu’il veut, y compris assassiner une personne, sans risquer d’être jugé). Nous avons relié cela à la perte d’innocence. Dans un baptême, tous les hommes finissent nus. Cela ne choque personne. Pourquoi les filles ne pourraient pas aussi le faire? Cette année, les bleus et les bleuettes, eux, ont préféré rester tous en sous-vêtements car certains ne voulaient pas se mettre nus. Nous avons respecté. Il y a 20 ans, on obligeait les filles à être en string. Personne ne disait rien. Nous sommes là aussi pour casser les codes.”
Si la nudité n’est pas remise en question et existe aussi dans d’autres cercles, Mathilde comprend que le fait de se faire raser le crâne ait pu choquer. “Nous ne pensions pas du tout à l’arrivée dans les camps nazis. Cela fait personnellement des années que je souhaite me raser la tête. Je me questionne sur la féminité, sur le fait qu’une femme est souvent rattachée à ses cheveux. Je me demande si on peut se sentir bien dans son corps de femme sans chevelure. Une amie m’a suivie et nous avons choisi les garçons qui nous ont rasées. Ce ne sont que des cheveux et c’est un choix qui m’appartient.”
L’ULB : “Les organisateurs n’ont certainement pas fait les bons choix de mise en scène”
Face à ce conflit, Iris a décidé d’écrire au recteur de l’ULB, lui rapportant les faits qui l’avaient choquée. “Quelle image de la femme est donnée? Où est le respect de la femme? Et celui de la communauté juive? Où est passé le côté bon enfant de la bleusaille et du baptême?” Telles sont les questions posées directement au recteur.
Ce lundi 18 novembre, les organisateurs ont été convoqués chez le vice-recteur, Alain Leveque. Selon lui, rien ne déroge à la charte de bonne conduite du folklore étudiant puisque les jeunes femmes étaient consentantes. “C’est la première fois que je reçois ce type de courrier et l’ULB le prend bien évidemment très au sérieux, explique le vice-recteur. J’ai donc reçu une des femmes et le président du baptême. Il faut bien préciser qu’il s’agissait de comitards et donc d’adultes consentants. Pour les bleus et bleuettes, la question aurait été différente et tous les présidents de cercle s’engagent à signer la charte. Ils doivent toujours respecter l’intégrité physique et morale, les convictions religieuses. Je pense d’ailleurs que les baptêmes sont moins durs aujourd’hui qu’il y a quelques années. Pour les comitards, nous pouvons discuter du choix mais les autorités de l’université n’ont pas à s’immiscer. On peut se poser la question de la nudité ou du rasage de crâne après la vague metoo. Les étudiants ne vivent pas en dehors de ces débats mais nous pouvons dire dans ce cas précis de l’ISTI que certainement les organisateurs n’ont pas pensé à la portée de leur acte. Ils n’ont certainement pas fait les bons choix pour les mettre en scène.” Une réponse qui laisse sans voix les personnes choquées.
Quant aux comitards de cette année, ils ont écrit une justification de leur geste sur les réseaux et tiendront une assemblée générale le 2 décembre prochain.
Vanessa Lhuiller – Photo: BX1