40% des personnes vivant dans la rue en Région bruxelloise sont des femmes
Certains disent qu’ils sont plus visibles quand le mercure commence à chuter. D’autres estiment qu’ils sont tristement visibles en rue tout au long de l’année, mais qu’on ne s’en préoccupe davantage qu’une fois l’heure d’hiver arrivée.
Ils, ce sont les SDF, les personnes vivant dans la rue. Et parmi ces « ils », de plus en plus sont en fait des femmes. Des associations de terrain comme “Job Dignity”, l’incubateur bruxellois destiné aux femmes SDF, estime d’ailleurs que près d’un SDF sur deux dans la capitale est en fait une SDF.
Les chiffres officiels sont plus nuancés mais ne sont pas pour autant très rassurants : les femmes vivant en rue sont plus nombreuses et représentent près d’un tiers du public en question. C’est ce que révèlent des données publiées et recoupées par différents organismes comme l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, l’IWEPS ou encore le samusocial de Bruxelles.
Une situation qui s’explique notamment par la précarité grandissante de façon générale mais qui touche en particulier les femmes, un public qui souffre depuis longtemps déjà de la paupérisation croissante et des différentes mesures sociales prises ces dernières années par les différents gouvernements (fédéral ou régional).
Selon les derniers chiffres de la Strada, cette précarisation grandissante se traduit en chiffres par une hausse de 73% du nombre de bénéficiaires du Revenu d’Intégration Sociale. Parmi les éléments d’explication, le prix des logements, élevés au point que l’accès à un logement n’est plus possible pour un Bruxellois sur deux. L’accès au logement devient donc un luxe, alors qu’il s’agit d’un droit fondamental, précisément l’article 23 de notre Constitution. “En fixant à 30% la part des revenus allouée au loyer, le premier décile des logements les moins chers de l’agglomération ne sont accessibles qu’à 52% de la population bruxelloise”, précise la Strada.
Au-delà de la question de la précarité, c’est la question de la pauvreté extrême que nous tentons ici d’évoquer. Une situation qui préoccupe de plus en plus de citoyens et d’associations qui ciblent particulièrement ces femmes qui tentent de vivre ou plutôt de survivre en rue.
“Dans l’imaginaire collectif, le clochard est toujours un homme. Mais existe-t-il des clochardes ?”
Cette question a été posée par Sylvie De Clerck, étudiante à la VUB, partie, il y a près de 10 ans déjà, sur cette question pour aborder un travail de fin d’études dont les résultats restent encore d’actualité.
À l’époque, Sylvie De Clerck s’était surtout penchée sur le sort des femmes qui vivent dans la rue. Et déjà à l’époque, le nombre était en constante et en rapide évolution.
“En 1998, on estimait que les femmes représentaient 18% des sans-abri. Aujourd’hui, on pense qu’elles forment 39% de cette population sur Bruxelles”. Autrement dit, sur les 2.000 personnes sans-abri vivant dans la capitale, 780 sont des femmes.
Qu’en est-il aujourd’hui? Les chiffres ne sont pas évidents à consulter et les raisons sont multiples.
Tout d’abord, comment recenser des personnes qui vivent quelque part en rue, parfois dans des squats, parfois logés pour un temps chez des amis ou des bénévoles, autrement dit, des personnes dont on ne connaît la situation que si elle est prise en considération par un organisme ou une association. Mais le retour des travailleurs de terrain est sans appel : la rue se féminise et la précarité donne lieu à des situations de pauvreté extrême de plus en plus préoccupante pour les femmes.
“Vivre en rue, c’est déjà quelque chose de compliqué pour n’importe qui. Les dangers sont multiples, surtout la nuit. Et pour une femme, surtout seule, ces dangers sont multipliés. C’est la dure réalité et peu importe notre présence sur le terrain, on ne peut rien faire contre cela”, témoigne un travailleur bénévole au samusocial de Bruxelles.
Les acteurs de terrain, et souvent même les actrices, sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à tenter d’endiguer le phénomène. Bruzelle par exemple, est une association un peu hors du commun puisque les bénévoles qui la composent se chargent de collecter et distribuer des protections hygiéniques pour les femmes qui vivent dans la rue. “Cette question est un tabou et nous voulons justement changer les règles en aidant ces femmes à se munir de ce dont elles ont besoin, surtout que ces protections sont chères et difficilement accessibles donc pour un public aussi démuni”, explique Veronica pour Bruzelle.
Les associations se démènent donc, sur le terrain, pour tenter d’apporter un semblant de dignité à ces personnes et surtout à ces femmes qui ont tout perdu pour se retrouver en rue. Peu ont envie de parler, leurs histoires ne sont pas faciles à raconter. À quelques mètres des belles boutiques du quartier Louise, une dame nous glisse toutefois ceci. “Ça peut arriver à tout le monde, vous savez. Vivre en rue, ce n’est pas un choix ou une idée qui nous tombe dessus comme ça. Moi aussi, j’avais une vie normale, je vivais dans une maison, avec ma famille. Mais j’ai tout perdu, et me voilà sous un pont. À affronter le regard des gens, et l’hiver qui s’annonce rude, comme chaque année. Et comme chaque année, on se dit que ça va aller”.
Maryam Benayad – Photo:BX1