Rue de la Loi : pour Schaerbeek et ailleurs, 3 leçons à retenir de l’école numéro 1
Dans une campagne électorale on ne peut pas tout prévoir. Il y a toujours des évènements imprévisibles, qui s’imposent à la une de l’actualité et modifient le cours des débats. Cette semaine l’actualité bruxelloise aura été marquée par les incidents survenus à l’école numéro 1 à Schaerbeek. Une suspicion de violence sexuelle contre une fillette de 4 ans. Une plainte des parents, une enquête ouverte au parquet, l’émotion dans leur entourage, l’intérêt des médias. La conclusion tombera mardi, veille du 1er mai : finalement il n’ y a pas eu de viol mais une simple infection urinaire, à l’origine des traces de sang. Cette conclusion médicale et judiciaire aurait du clore le débat. Mais elle a été jugée trop simple pour être vraie. L’école s’est enflammée, les parents sont descendus dans la rue, persuadés d’être victimes d’une justice à deux vitesses, il y eut donc des cris de colère et des affrontements avec la police.
Si le début de l’affaire n’est pas politique, sa gestion l’est. Nous sommes ici dans une école communale, et à partir du moment où il y a eu des rassemblements et des violences la police locale devait également intervenir. Le bourgmestre de Schaerbeek (Bernard Clerfayt) et l’échevin de l’enseignement (Michel de Herde) se sont donc d’emblée retrouvés en première ligne. C’est leur fonction. Les deux hommes sont d’ailleurs expérimentés : ce n’est pas la première crise qu’ils doivent gérer. La tournure politique des évènements sera plus manifeste encore quand le bourgmestre accusera certains conseillers de l’opposition d’avoir tenté d’instrumentaliser les incidents en véhiculant de fausses rumeurs ou en incitant les parents d’élèves à manifester. L’accusation est grave, dans une démocratie représentative, le rôle d’un élu est de représenter ses électeurs et de porter le débat dans les instances compétentes (ici le conseil communal) pas de renforcer les clivages et d’inciter à la violence sur le terrain.
Au delà de ce récit factuel et de son exploitation dans le cadre de la campagne électorale, c’est un second degré de lecture politique qu’il conviendrait d’avoir face à ces évènements. Analyser et tirer des enseignements pour élever le niveau. Sur la puissance de la rumeur et des réseaux sociaux d’abord. Nous avons eu la confirmation cette semaine que ce qui s’écrit sur Facebook a, pour certains parents, plus de poids qu’un communiqué du parquet, qu’une déclaration du bourgmestre ou même qu’un article de journal. C’est sur ce discrédit de la parole officielle que peut se greffer la théorie du complot. Un discrédit des autorités qui semble autoriser aussi le recours à la violence. Quand on ne respecte ni les enseignants ni les policiers on se croit fondé à les insulter ou les agresser. Ce sont des comportements qui était exceptionnels il y a 20 ans mais qui se banalisent aujourd’hui. Les images de violences répétitives et légitimées par un discours politique (gilets jaunes, agriculteurs, manifestations qui dérapent) amplifient le phénomène : la colère est télégénique, l’affrontement assure sa promotion télévisée.
Autre confirmation : l ’hyper sensibilité de l’opinion sur les questions de pédophilie. Conséquence de l’affaire Dutroux entre autres, qui a imprégné en profondeur notre mémoire collective et débouche sur des comportements irrationnels. Ici une affaire en apparence anodine et d’un intérêt très local, mais la suspicion de pédophilie a suffit à mobiliser les médias. Quand cette suspicion fait les grands titres de la presse écrite comme de la télévision, la marche arrière des journalistes 24 heures plus tard devient incompréhensible. Ce sont bien ces médias qui déclenchent l’indignation, qu’on écoute tant qu’ils nourrissent la colère, mais qui deviennent inaudibles quand ils doivent dire l’inverse de ce qu’ils ont sous-entendu.
Troisième élément : le sentiment d’injustice. Il a été très clairement exprimé par les parents d’élèves : dans leur esprit la justice ne travaille pas de la même manière pour tout le monde. Ce qui se passait dans une école d’un quartier populaire, fréquentée par des populations immigrées, avait forcément moins de valeur que ce qui se passerait dans une école d’un beau quartier. Les moyens mobilisés et l’impartialité ne sauraient être les mêmes. Si je suis discriminé pour la recherche d’un emploi, d’un logement, l’accès aux soins de santé, je le suis aussi forcément lorsqu’il est question de justice ou de protection de mes enfants. Ce constat là est terrible. Ce principe de la cocotte-minute bien vivant dans certains quartiers menace à terme le modèle bruxellois de coexistence entre communautés. Si j’intériorise en silence ce sentiment d’inégalité en temps normal, il s’exprime avec virulence à l’occasion d’un événement exceptionnel. Cette conviction (apparemment largement partagée parmi les parents concernés) que la société est bâtie sur un système à deux vitesses est sans doute, à l’approche d’une élection, l’élément qui doit politiquement, le plus nous faire réfléchir.