L’édito de Fabrice Grosfilley : les techniques de l’extrême droite

Le Mouvement Réformateur est-il en voie d’extrême-droitisation ? La question est provocante, et j’avoue avoir hésité à me lancer dans cet éditorial tant je devine par avance les réactions passionnelles. Elle est évidement destinée à affaiblir le Mouvement Réformateur et donc politiquement intéressée. Mais elle s’est, malgré tout, invitée à deux reprises cette semaine dans le débat public. D’abord par l’intermédiaire d’un débat très bruxellois, celui qui concerne les langues employées lors de l’examen du permis de conduire au cours duquel le MR a été taxé de “position extrême”.Le MR bruxellois, à travers son président, utilise sa jambe gauche pour rassurer quelques candidats de sa liste et sa jambe droite pour flirter avec l’extrême droite” a ainsi écrit le chef de groupe PS au Parlement régional Ridouane Chahid sur X, anciennement Twitter. Le député Ibrahim Dönmez, sur notre antenne estimait lui que le MR bruxellois était de “plus en plus en plus à droite, parfois une droite très extrême”.

Hier dans notre studio David Leisterh, président de la régionale bruxelloise du MR  s’en défendait, mettant en avant la diversité de sa liste, estimant que ces attaques avaient pour but de masquer le mauvais bilan de la coalition actuellement au pouvoir à la Région Bruxelloise et indiquant que cela lui donnait envie de vomir.

Cette crispation entre le MR et le PS n’est pas neuve : en septembre 2023 déjà Ridouane Chahid avait lancé un avertissement dans un entretien à la Libre Belgique. “Si le MR continue d’avoir un discours proche de l’extrême droite, ce sera compliqué de gouverner avec eux” avait-il dit à l’époque. Le Mouvement réformateur venait de s’insurger contre la désignation de Saliha Raiss comme échevine à la commune de Molenbeek parce qu’elle porte le foulard.

Deuxième élément qui ramène cette question dans le débat public, ces 300 affiches apposées par un collectif qui a pris le nom de “Vigilance Cordon Sanitaire”. Une affiche sous forme d’article de journal qui estime que le discours d’extrême droite était désormais repris par le MR et qu’il conviendrait de lui appliquer un cordon sanitaire. L’action appelait les citoyens d’accord avec cette opinion à envoyer un mail aux rédactions, ce que certains citoyens ont d’ailleurs fait.

Le MR est-il devenu un parti d’extrême-droite ou proche de l’extrême droite? On doit répondre non à cette question. Et la réponse est à ce stade sans ambiguïté. Pour dire qu’un parti est d’extrême droite on peut retenir une série de critères dont un rejet clair de l’immigration voir une forme de xénophobie, mais aussi l’affirmation d’un projet autoritaire en matière de politique intérieure, avec une restriction des libertés publiques, et un discours anti-élite qui peut aller jusqu’à remettre en cause le bien fondé de la démocratie et de la séparation des pouvoirs. (Bien sûr les partis d’extrême-droite avancent  rarement à visage découvert, ils se qualifient eux-mêmes de vraie droite, de droite radicale ou nationale,  de mouvement identitaire ou patriote).

Ces éléments ne figurent pas dans le programme du Mouvement Réformateur. On ne peut pas classer le MR à l’extrême-droite, fin du débat sur le plan théorique. Vouloir insinuer l’inverse est un raccourci un peu facile qui relève des excès de la campagne électorale. C’est une forme de polarisation violente et excessive qui attise les passions. Avec deux effets : le premier à court terme c’est de galvaniser les militants de deux camps, le deuxième, à plus long terme, vise à rendre plus compliqué une alliance gouvernementale avec le MR de Georges-Louis Bouchez. Personne n’a envie de monter dans un gouvernement avec un parti d’extrême-droite, relèverait-elle d’une formule canada-dry (une bière sans alcool qui devait nous faire oublier la bière, je le précise pour les plus jeunes).

Si le MR n’est donc clairement pas d’extrême-droite on peut cependant noter une évolution, voir une rupture depuis que Georges-Louis Bouchez en a pris la présidence. C’est surtout sensible au niveau de la majorité fédérale, où le président de parti n’hésite pas à critiquer violement les autres partenaires de la coalition fédérale. Georges-Louis Bouchez fait de la “participe-opposition”: ces 4 dernières années, il a eu un pied dans la majorité pour faire avancer ses projets, et un pied dans l’opposition pour bloquer ceux des autres. Une attitude qui a crispé ses partenaires et qui a aussi mis mal à l’aise quelques uns de ses ministres. Au niveau bruxellois ses interventions sur les questions du foulard, de l’abattage rituel par exemple, donnent l’image d’un parti crispé sur les questions liées à l’Islam. Là, le vocabulaire qu’on va utiliser va être très connoté, l’éditorialiste que je suis sera donc très prudent. Les uns parleront de défense de la neutralité de l’Etat, les autres d’une forme de repli identitaire. Le terme “identitaire” nous met mal à l’aise. L’identité de Bruxelles est bien difficile à définir, et ce terme est clairement un vocable utilisé par l’extrême droite (“valeurs identitaires” par exemple est le nom d’un groupuscule francais).

Il y-a aussi le partage de contenus publiés par des personnalités d’extrême-droite sur les réseaux sociaux. Marc Isaye mais aussi Georges-Louis Bouchez lui-même ont partagé, liké, parfois commenté des publications qui venaient d’individus ou d’organisme démocratiquement peu fréquentables. En n’établissant pas une frontière claire, en ne séparant pas les démocrates de ceux qui ne le sont pas, le président du MR a donc joué avec le feu. Même chose lorsqu’il attaque frontalement (et souvent) les syndicats, les mutuelles, la presse, ou qu’il s’insurge contre la “bien-pensance” ou “l’établishment” :  une déconstruction de la légitimité des corps intermédiaires qui ne relèveraient pas de son parti. Tous ces positionnement relèvent d’une technique populiste, parfois utilisée par l’extrême-droite mais pas qu’elle : on trouve des relents populistes dans de nombreuses déclarations ou propositions.

On résume : le MR n’est pas d’extrême-droite. Son président par contre a parfois des positionnement populistes. C’est probablement délibéré (on le sait remarquablement intelligent et passionné de sciences politiques). Parce qu’il a fait le calcul électoral qu’il valait mieux occuper ce terrain que de le voir occuper par un autre. La question de savoir si c’est moral ou pas, appartient à chacun de nous, en fonction de nos valeurs. Quand à la question de savoir si le calcul électoral a été le bon ou pas,  la réponse tombera le 9 juin.

Fabrice Grosfilley