L’édito de Fabrice Grosfilley : derrière l’abattage, l’abattoir

La Région bruxelloise aura-t-elle un nouvel abattoir dans le futur ? La question est ouverte. La réponse n’est pas claire à ce stade. Ce qui est certain, c’est que l’abattoir actuel, situé à Anderlecht, fermera ses portes d’ici 3 à 4 ans. Son permis d’environnement va jusqu’à 2028. La demande de renouvellement n’a pas été introduite. La direction de la société anonyme Abattoirs SA justifie cette décision par “un manque d’enthousiasme des investisseurs”. La chaîne d’abattage doit en effet être adaptée pour correspondre aux nouvelles normes. Cet investissement était jugé “périlleux” étant donné le contexte politique autour de l’abattage rituel. 80% des activités d’abattage à l’abattoir d’Anderlecht sont actuellement liées à cette forme d’abattage sans étourdissement. À l’abattoir même, il y a une trentaine d’emplois en jeu. Si l’on considère l’abattoir, les ateliers de découpe et de transformation de viande et leurs sous-traitants, cela représente près de 200 emplois.

Exit donc l’abattoir d’Anderlecht. À la place, le développement du projet “Manufakture” est prévu sur ce site, avec des logements, et même une piscine qui devrait s’installer sur le toit du bâtiment. Peut-on malgré tout se passer d’un abattoir à Bruxelles ? Ce qui reviendrait à dire que toute la viande consommée chez nous viendrait forcément d’ailleurs. Oui, pense une partie de la classe politique, nous n’avons pas besoin d’avoir ce type d’activité dans une grande ville. Non, rétorquent les autres, c’est une activité économique qui peut être rentable et générer des emplois. Ne pas abattre de viande chez nous, c’est se condamner à la faire arriver par transport de plus loin, ce qui n’est pas logique en termes de mobilité. L’an dernier, des études ont donc été commandées par le gouvernement bruxellois. Hub Brussels (l’agence qui accompagne les entreprises) et Citydev (l’organisme qui gère le développement économique de la région) étaient appelés à réfléchir à la question.

Ce matin, c’est donc La Libre Belgique qui verse une nouvelle pièce au dossier avec l’identification d’un site possible pour ouvrir un nouvel abattoir. Il s’agirait d’une parcelle située près de l’OTAN. On est donc sur le territoire de la Ville de Bruxelles, ce qui est important, dans un quartier qui doit devenir un parc pour installer des PME et développer de l’agriculture urbaine. Interrogé par La Libre Belgique, le patron de Citydev précise que son rôle se borne à identifier des sites qui peuvent accueillir des projets stratégiques. La décision de relancer ou non un abattoir n’est donc pas de son ressort. La décision finale relèvera soit de la ville de Bruxelles, soit du prochain gouvernement bruxellois.

C’est là que le dossier devient évidemment très politique. Avant de lancer un nouvel abattoir, il va falloir se poser la question de savoir s’il peut être rentable. Et donc de savoir si l’abattage sans étourdissement sera possible ou non en Région bruxelloise. Si on répond oui ou non à cette question, le modèle économique ne sera pas le même. Pour l’exploitant, ce n’est pas un détail. La classe politique bruxelloise va donc devoir à nouveau trancher. Une activité économique d’un côté, avec plusieurs dizaines d’emplois, peut-être plus, ou le bien-être animal de l’autre. S’il n’y a pas d’abattoir à Bruxelles, on consommera de la viande abattue à Liège, à Ath, donc dans des abattoirs wallons, ou à Roubaix en France pour la viande halal. Ce n’est pas un drame mais c’est peut-être dommage du point de vue de l’emploi. Si on décide qu’il faut un abattoir et s’il y a un candidat privé pour monter un dossier, on devra en revanche lui apporter une certaine forme de sécurité juridique et réglementaire. Que pourra-t-il faire ou non ? Abattre sans étourdissement, abattre avec un étourdissement réversible, abattre seulement après étourdissement ?  Il va falloir commencer par trancher cette question avant de trancher la gorge des bœufs, poulets, moutons.

Dans la précédente législature, ce dossier a été un point de crispation majeure au Parlement bruxellois. Il reviendra donc probablement sur la table des parlementaires. La suite de l’histoire sera forcément différente, les rapports de force ont changé. Il reste malgré tout difficile ce matin de dire s’il y a oui ou non une majorité pour interdire l’abattage sans étourdissement en Région bruxelloise. Dans tous les partis ou presque, on peut identifier des députés bruxellois qui pourraient être tentés de ne pas voter comme leur parti le leur demande. Et puis, surtout, on a bien compris que ce clivage était un argument de campagne. Il est donc probable que les uns et les autres continueront à en faire un dossier passionnel. Un dossier qui oppose les Bruxellois les uns aux autres, c’est du pain béni quand on veut choisir son camp et brandir un étendard. Pourtant, si on veut être un peu rationnel, il y a désormais un enjeu économique à ne pas négliger et une vraie raison de résoudre cette question une fois pour toutes, pour ne plus relancer le feuilleton indéfiniment. Assurer un cadre clair et définitif. Après tout, un parlementaire, c’est fait pour légiférer, pas pour faire le show.

Un édito de Fabrice Grosfilley