Rue de la Loi : comment la société civile fait mûrir la pastèque

Sur la table, deux documents d’une dizaine de pages chacun : l’un pour la Wallonie, l’autre pour la fédération Wallonie-Bruxelles. Il ne s’agit pas encore d’un accord de gouvernement (on en est encore loin), mais de « lignes directrices d’une déclaration de politique gouvernementale ».

Si vous cherchez la différence entre les consultations d’un informateur et le travail de négociation d’un formateur, la réponse est dans ces deux documents. Et surtout dans la possibilité offerte aux représentants de la société civile de pouvoir les amender. L’invitation (partie vers 22h mardi soir de la boite mail d’Elio Di Rupo est d’ailleurs explicite : elle parle d’une « ébauche », invite les participants aux réunions à émettre leur « avis » et leur offre même la possibilité d’ envoyer leurs réflexions par mail jusqu’à dimanche. Objectif affiché : « enrichir » les deux notes en y incorporant des suggestions ou des remarques que la centaine de personnes consultée (ou les organisations qu’ils représentent) feront parvenir aux négociateurs. Le tout sous « forme synthétique pour rester dans le canevas de lignes directrices ».

De ces deux notes, la presse a déjà dévoilé l’essentiel. En Wallonie, on retiendra la suspension des travaux routiers et la création d’une inspection du climat (qui pourrait examiner tous les projets ministériels comme le fait actuellement l’inspection des finances). En Fédération Wallonie-Bruxelles, notez qu’il y a 14 axes, que les principes du pacte d’excellence (comme l’allongement du tronc commun qu’il faudra « implanter progressivement ») y sont défendus, qu’il est question de fixer un échéancier progressif pour concrétiser le principe de gratuité scolaire, de généraliser les repas chauds gratuits dans les écoles, de créer une conférence interministérielle et des assises sur l’égalité hommes-femmes ou d’organiser des consultations populaires.

Le hic ? Tout cela reste général et n’est pas chiffré. Pas un mot sur le budget : au final les « lignes directrices » risquent donc de ressembler à des notes d’intentions, catégorie vœux pieux. Mais en associant tous ces interlocuteurs extérieurs, les négociateurs se mettent la pression. Ils créent une attente qui risque d’être fortement déçue si aucune des mesures préconisées ne pouvait être implémentée faute de financement. On notera que la processus prévoit d’ailleurs d’associer ces acteurs à une évaluation annuelle du processus. Ce n’est pas un détail, mais un changement de paradigme si la promesse se concrétise. La fin d’un monde politique, qui une fois la délégation de pouvoir obtenue lors des élections, gouvernait sans rendre de compte pendant la durée d’une législature. Une manière de répondre au désintérêt des citoyens pour la chose publique si on ose sortir du plan com et de l’opération séduction.

Et après ? En début de semaine prochaine, PS et Ecolo seront donc en mesure de proposer une nouvelle version de ces « lignes directrices ». Elle seront étoffées, corrigées, amplifiées. L’enjeu est de se servir du document auréolé de son statut de «synthèse approuvée par la société civile » pour tenter de faire pression sur les parlementaires wallons (qui siègent aussi à la fédération, on vous le rappelle). Le document sera donc transmis aux parlementaires (comment, on ne sait pas encore) pour  essayer de convaincre au moins trois d’entre eux d’apporter leur caution à cette démarche innovante qui brise les lignes dures partisanes. Ce n’est pas gagné : au CDH, les deux seules voix qui se sont exprimées en faveur d’un ralliement (Benoit Dreze et Josy Arens) semblent isolées. Au PTB, on ne voit rien venir non plus.

L’exercice serait-il vain ? Pas sûr. En consultant si ostensiblement la société civile, PS et Ecolo se dotent d’un programme qui pourra se vanter d’une large assise. Comme si la pastèque rouge et verte se gorgeait du jus de ceux qu’elle consulte. Au final, un fruit lourd et sucré, avec une chair programmatique dense qu’on ne pourra plus balayer d’un revers de main. Accessoirement l’opération permet aussi à Ecolo de rééquilibrer le rapport de force avec les socialistes. Quand on pèse 12 députés alors que le parti dominant en a près du double (le PS compte  23 sièges au parlement wallon) passer par la société civile aide à faire bouger les lignes. S’ils doivent dans quelques semaines se tourner vers le Mouvement réformateur pour faire une majorité, PS et (éventuellement) Ecolo arriveront donc avec leur programme pastèque plutôt qu’avec un fragile coquelicot. Les libéraux, laissés sur le bord de la touche, seront mis devant le fait accompli. Pas sûr qu’ils apprécieront.

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27 juin 2019 - 14h17
Modifié le 27 juin 2019 - 16h14