Le harcèlement de rue dans le collimateur des policiers bruxellois

harcèlement de rue

Objectif : tolérance zéro pour le harcèlement de rue. Depuis mars dernier, le parquet de Bruxelles et la police bruxelloise organisent des actions ciblées pour lutter contre les stéréotypes de genre et les comportements sexistes dans l’espace public.  Les auteurs des faits risquent une peine d’emprisonnement d’un mois à un an et une amende allant de 50 euros à 1 000 euros.

« Je marchais dans la rue lorsque j’ai été appelée par des policiers dans un combi. Ils se sont arrêtés à ma hauteur et m’ont demandé si j’avais été dérangée par l’homme que je venais de croiser. Il était tard, il pleuvait, je me sentais insécurisée : ils m’ont proposé de me raccompagner en voiture jusqu’à la gare du Nord, où je devais prendre un train. Cette action m’a rassurée », confie une jeune fille, agréablement surprise par la démarche.

Cette attention des policiers s’inscrit dans un projet plus large initié en mars dernier par le parquet bruxellois et les zones de police Bruxelles-Ixelles, Bruno (Schaerbeek, Evere, St-Josse) et Montgomery (les deux Woluwe et Etterbeek). Objectif : mener une politique ferme contre le harcèlement sexuel en rue. En plus de la sensibilisation globale des équipes, des policiers en civil sont présents dans les rues et dans les hotspots bruxellois. Ils agissent en cas de flagrant délit, protègent les femmes et interpellent les agresseurs. La partie n’est pas encore gagnée, mais les actions menées semblent encourager les jeunes filles à porter plainte.

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Les faits actés ont plus que doublé 

Quelques mois plus tard, ces premiers efforts s’avèrent fructueux. “Nous avons pu enregistrer deux constats des plus positifs. Premièrement, les policiers détectent mieux la dimension sexiste de certains actes et rédigent le PV en conséquence. Deuxièmement, les victimes viennent plus déposer plainte pour sexisme”, annonce la police locale de Bruxelles-Ixelles. En 2021, on recense 19 faits actés en 6 mois contre 8 faits les années précédentes.

Des policiers formés

Pour parvenir à cet objectif, les policiers suivent une formation sur le harcèlement mise en place à l’automne dernier. On y aborde des concepts-clés (sexe/genre, sexisme, domination, privilège…), l’histoire, les raisons, les formes et les conséquences du harcèlement sexiste dans l’espace public. Côté pratique, ils y apprennent la loi anti-sexisme et les mesures administratives à mettre en place dans ce cadre, ainsi que la prise en charge de façon qualitative des victimes et le type d’intervention adéquate au moment des faits, tant auprès de la victime que du harceleur. En raison de la crise sanitaire, la zone de police de Bruxelles-Ixelles n’avait pu assurer, à la mi-août, que 8 sessions de formation sur les 20 initialement programmées. Elles ont concerné 84 policiers.

Des sanctions à la hauteur de la gravité des faits

“Lorsqu’une infraction est constatée en flagrant délit, un procès-verbal est établi et le suspect est entendu au sujet des faits. Le parquet est, pour sa part, chargé de prendre des mesures appropriées et immédiates”, explique la police bruxelloise. Les peines prévues par la loi estiment qu’un fait de harcèlement sexuel en rue est punissable d’une peine d’emprisonnement de 1 mois à 1 an et/ou d’une amende allant de 50 euros à 1 000 euros.

“Le type de sanction sera toujours évalué en fonction de la gravité des faits, du casier judiciaire et de la prise de conscience de la gravité des faits par l’auteur”, précise-t-elle. Il y a par exemple une distinction entre violence verbale, physique, harcèlement sexuel, etc. “L’article de la loi et les interprétations qui en sont faites doivent être comparées avec la situation concrète et la loi requiert quand même un certain degré de gravité. L’article prévoit qu’on doit porter atteinte gravement à la dignité de la personne. Cet aspect est laissé à l’appréciation du juge. Un acte jugé extrêmement grave par une personne, peut être considéré moins grave par une autre. C’est au tribunal à trancher si là, on est dans les conditions de la loi”, explique le parquet.

Sensibilisation et conscientisation

Ce projet n’a pas une vision purement répressive, mais se base aussi sur de la sensibilisation et de l’éducation. “La police étant un des acteurs participant à ce changement positif, on veut soutenir directement les femmes et faire passer un message clair et fort aux harceleurs de rue : non, vos comportements ne sont pas anodins et encore moins acceptables, et si vous n’êtes pas capables de vous en rendre compte par vous-mêmes, la police et la justice vous y aideront”, explique la zone de police Bruxelles-Ixelles. De son côté, le parquet insiste sur son rôle de conscientisation. “L’idée est réellement que les gens prennent conscience de l’existence de l’infraction, de la peine qui y est rattachée et du caractère totalement inapproprié de leur comportement”, explique-t-il.

Pour ce faire, le parquet travaille en étroite collaboration avec l’ASBL Praxis, spécialisée en violences conjugales et intrafamiliales. L’institution, initialement chargée de mettre en place des modules pour la gestion de la violence pendant les crises intrafamiliales, a créé trois modules spécifiques liés au harcèlement sexuel. “Quand les auteurs de ces infractions sont arrêtés, nous les renvoyons vers l’ASBL Praxis. L’idée étant de les conscientiser sur leurs actes et obtenir un changement de comportement par rapport à ces infractions qu’ils auraient commises”, explique le parquet. Selon la situation, le parquet peut décider de rendre ces formations obligatoires. “Soit la personne exécute la formation et on peut clôturer le dossier parce qu’elle a satisfait aux obligations que le ministère public lui a imposé. Soit ce n’est pas le cas et le parquet a la possibilité de la citer devant le tribunal. Quoi qu’il arrive l’escalade dans ce type de comportement entraîne bien entendu une réaction différente de la part du parquet”, poursuit-il.

Dans la continuité de Liège

Ce modèle d’opérations a été soufflé par la police de Liège. Dans un projet-pilote, sous l’œil des caméras, une policière en civil se balade dans les rues liégeoises. Derrière elle, trois collègues également en civil prêts à réagir en cas d’infraction. Rapidement, la jeune femme se fait interpeller par des hommes qui commentent son physique. Les policiers interviennent, confrontent les individus et les rappellent à l’ordre. De juillet à octobre 2020, trois actions de ce type ont été menées à Liège, durant lesquelles 26 personnes ont été interpellées, 16 PV ont été rédigés et 10 rappels à la loi ont été faits, selon nos confrères de RTC.

À Bruxelles, il est encore trop tôt pour s’avancer en termes d’effets concrets sur le terrain malgré les constats positifs. Pour le moment, le projet suit son cours et les actions se poursuivent dans la capitale. Un bilan sera fait dans les mois à venir.  “Les femmes sont encore bien trop souvent victimes de harcèlement sexuel dans la rue : sifflements, propos déplacés, comportements inappropriés et insistants, voire insultes, sont, hélas, des réalités”, constate la zone de police. “Les combattre doit permettre à l’espace public de conserver son indispensable caractère de collectivité, de partage, sans discrimination, sans crainte pour une frange de la population.” 

Lisa Saint-Ghislain – Photo d’illustration : BX1

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08 septembre 2021 - 09h00
Modifié le 08 septembre 2021 - 16h37