Attentats de Bruxelles : Mohamed Abrini passé au crible par les enquêteurs

La personnalité de Mohamed Abrini et son rôle dans les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles sont présentés ce mercredi devant la cour d’assises de Bruxelles.

Dès le début de l’audience, Mohamed Abrini a décidé de ne pas y assister. Les enquêteurs et juges d’instruction ont en effet prévu de consacrer plusieurs heures à la présentation de l’accusé et à son rôle dans les attaques terroristes.

L’entièreté de la journée sera en effet consacrée à l'”homme au chapeau”. L’audience de la veille s’était, elle, penchée sur le parcours des kamikazes Najim Laachraoui et Khalid El Bakraoui

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Reportage d’Arnaud Bruckner, Charles Carpreau et Hugo Moriamé


11h00 – Abrini se serait radicalisé en prison après le décès en Syrie de son frère

Mohamed Abrini se serait radicalisé en prison après le décès de son frère, à la suite d’un bombardement en Syrie. Selon l’exposé d’un enquêteur de la DR3, l’unité anti-terroriste de la police judiciaire fédérale, dressant le portrait de l’accusé, ce décès et ce séjour derrière les barreaux sont les deux éléments déclencheurs de sa radicalisation.

Mohamed Abrini, dit “l’homme au chapeau” ou Abou Yahya, faisait partie du trio de l’aéroport. Il a accompagné les kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui depuis l’appartement conspiratif de la rue Max Roos à Schaerbeek jusqu’à Brussels Airport. Il y abandonnera sa bombe et prendra la fuite à pied. Il sera finalement arrêté le 8 avril 2016.

Biographie

Ce Belgo-Marocain, né le 27 décembre 1984, n’avait pas d’enfant. Il était en couple et projetait de s’installer avec sa compagne. C’était un voisin proche des familles Abdeslam et Abaaoud. Après une scolarité perturbée par de la dyslexie et de la dysorthographie, il enchaîne les petits boulots. Il ouvre ensuite un snack à Molenbeek en 2013 avec un ami.

Mohamed Abrini vivait principalement d’argent provenant de vols à répétition – il était d’ailleurs surnommé “Brinks” du nom d’une compagnie de transport de fonds – et de jeux comme le Bingo. Il aimait l’argent et les vêtements de luxe, a exposé l’enquêteur de la DR3. Il était connu pour une cinquantaine de faits de droit commun.

Il apparait dans le viseur de la police dès 1997, à l’âge de 13 ans, et finira par accumuler un casier judiciaire “assez fourni”, selon les mots de la juge d’instruction Sophie Grégoire. Cela sans compter la condamnation par la cour d’assises de Paris pour les attentats du 13 novembre 2015, à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans, pour son rôle dans ces attaques.

Radicalisation

Lorsqu’il sort de prison en septembre 2014, il est décrit comme plus calme et plus religieux. L’homme dira lui-même avoir commencé à lire le Coran durant son incarcération. Il envoie un SMS à sa compagne le lendemain de sa sortie pour lui demander de ne plus sortir de chez elle sans être voilée. En novembre 2014, sa décision est prise: le Belgo-Marocain veut se rendre en Syrie.

Il dit dans un SMS vouloir y aller pour “se battre afin de défendre la cause du Tout Puissant.” Ses propos coïncident alors avec un processus de radicalisation, selon l’analyse de l’islamologue Mohamed Fahmi. Il émet la volonté de réaliser une “hijra” djihadiste, c’est-à-dire quitter son pays pour se rendre dans un pays musulman, et a un discours radical en accord avec le discours djihadiste officiel. Il semble avoir adhéré pleinement avec l’idée du djihad armé, relève l’expert.

Durant un autre séjour en prison, en mars 2015, Mohamed Abrini envoie une lettre à son cousin incarcéré à la prison d’Ittre prouvant, pour l’islamologue, sa radicalisation. Il s’y présente comme un pieu pratiquant la bienfaisance et se permet de donner des conseils islamiques. Il marque un intérêt prononcé pour l’islam et a développé lien émotionnel avec sa croyance. Pour l’accusé, l’organisation terroriste Etat islamique serait un bon exemple à suivre puisque celui-ci serait religieusement légitime, a noté l’expert.


12h16 –Après les attentats de Paris, Mohamed Abrini entre en clandestinité

Après les attentats de Paris, Mohamed Abrini entre en clandestinité, car il a conduit à Paris les frères Abdeslam dans ce qu’il qualifiera lui-même de “convoi de la mort”.

Après les attentats de Paris, Mohamed Abrini est recherché par la police. Sa photo est diffusée dans les médias, rappellent les enquêteurs. Il entre en clandestinité.

C’est alors que Khalid El Bakraoui – qui se fera exploser dans le métro bruxellois – frappe à sa porte et lui dit qu’il va le cacher. L’accusé déclarera par la suite qu’il ne le connaissait pas, mais qu’il était le seul “homme de confiance” à cet instant. Il décide de le suivre et c’est ainsi que débute sa cavale. Mohamed Abrini fréquente plusieurs planques à Bruxelles.

Testament

C’est dans une planque à Forest (rue du Dries) que le Belgo-Marocain rédige son testament, qui a été retrouvé par les enquêteurs. Il déclarera par la suite qu’il savait qu’il n’allait pas mourir, mais qu’il ne voulait pas se faire remarquer par rapport aux autres qui écrivaient tous leur testament.

Dans ce texte, Mohamed Abrini parle de lui-même, ce qui “écarte les hypothèses du recopiage et du manque d’intérêt”, a analysé l’islamologue Mohamed Fahmi devant la cour. “On peut estimer qu’il a une implication personnelle et volontaire dans la rédaction.” Il utilise également des arguments d’inspiration djihadiste et cite l’organisation terroriste Etat islamique, ce qui démontre que l’accusé s’était approprié la propagande de l’EI.

Dans une autre lettre attribuée à Mohamed Abrini, il tente de convaincre son ancienne petite amie d’entreprendre une hijra. Dans un contexte djihadiste, ce terme désigne le fait de se rendre d’un pays infidèle vers un pays religieux.

Notre dossier sur les attentats de Bruxelles


12h50 – Des parties civiles demandent la traduction de documents en néerlandais

Les avocats de victimes néerlandophones des attentats du 22 mars 2016 ont demandé à la présidente de la cour d’assises si elle pouvait ordonner la traduction de leurs documents en néerlandais de sorte que les coûts de cette traduction ne leur incombent pas. C’est ce qu’a confirmé mercredi, en marge du procès d’assises.

L’une des avocates de l’association de victimes V-Europe, Sanne De Clercke, a confirmé les informations de Het Nieuwsblad et De Standaard selon lesquelles le greffe a demandé aux victimes de faire traduire elles-mêmes les documents qu’elles apportent au dossier pour prouver leur préjudice. “Ces documents devraient donc être traduits par un traducteur assermenté, ce qui entraîne bien sûr des coûts considérables”, a déploré Me De Clerck.

Lors de la séance de mardi, la présidente Laurence Massart a brièvement évoqué la question, demandant que les documents soient introduits en français si possible. “Autrement, la facture reviendra au contribuable”, avait-elle dit.


14h15 – La journée du 22 mars

L’audience a redémarré vers 14h15 avec la présentation de la journée du 22 mars 2016 du point de vue de “l’homme au chapeau” relayé par un enquêteur de la DR3, l’unité anti-terroriste de la police judiciaire fédérale.

Mohamed Abrini faisait partie du trio de l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016. Il a accompagné les kamikazes Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui jusqu’à Brussels Airport. Juste après l’explosion de la première bombe, Mohamed Abrini abandonne son chariot sur lequel se trouve une autre charge explosive. Il sait qu’une 2e explosion, celle déclenchée par Najim Laachraoui, est imminente. Il se bouche les oreilles.

Aussitôt après la détonation, il prend la fuite en courant et sort du terminal. “Je ne pensais qu’à partir, pas à désamorcer la bombe“, dira-t-il aux enquêteurs. A 7h59, il commence son périple à pied et fuit vers Bruxelles. Sa trace sera perdue près du Jardin Botanique dans le centre de la capitale. Selon les enquêteurs, l’accusé aurait marché durant 2h16 entre les deux endroits.
Sur son chemin de fuite, Mohamed Abrini explique s’être débarrassé de sa veste, de son chapeau, d’une carte SIM et de la batterie de son GSM dans différentes poubelles. Aperçu sur des images de plusieurs caméras de surveillance en train de téléphoner, il dira que c’était pour faire semblant. Aucun raccordement téléphonique le concernant n’a pu être mis en évidence, selon les enquêteurs, et aucun téléphone lui appartenant n’a d’ailleurs été retrouvé. Lui-même affirmera ne plus en avoir depuis la mi-novembre 2015. Il disposera cependant d’un GSM le jour des attentats.

Le 22 mars, “l’homme au chapeau” se réfugie rue du Tivoli, à Laeken, au domicile de l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa, où il sera rejoint par l’accusé Osama Krayem, qui a renoncé à se faire exploser dans le métro. Il y arrive vers 12H30-13h et demande à Hervé Bayingana Muhirwa de l’héberger, ce que ce dernier accepte. Dans un premier temps, il n’informe pas son hôte qu’il a participé aux attentats. Il dira aux enquêteurs: “Je vois dans son visage qu’il a peur“.

Toujours le 22 mars, Mohamed Abrini demandera à Hervé Bayingana Muhirwa d’aller lui acheter des vêtements, ce que ce dernier acceptera également.


16h55 -Durant sa cavale post-22 mars, Mohamed Abrini se décrit comme “SDF”

Après 2-3 jours passés rue du Tivoli, l’accusé explique avoir quitté les lieux, trop exigus à son goût, et commencé sa “vie de SDF”. Il raconte être passé de bar en bar et avoir dormi dans le parc de Forest.

Après avoir dormi en rue du 25 au 31 mars, Mohamed Abrini affirme s’être installé chez une femme rencontrée dans un café à Anderlecht. Se faisant passer pour un certain Bilal, il y serait resté de 5 à 7 jours, jusqu’au 7 avril, veille de son arrestation, en échange d’argent. La femme confirmera l’avoir accueilli, mais pour une durée de deux jours, juste avant l’arrestation de l’accusé.
Durant cette période précédant son arrestation, “l’homme au chapeau” est également passé le 3 avril, entre 2H25 et 2h32, par la planque de l’avenue des Casernes, dont il avait récupéré les clés et le badge d’accès via Osama Krayem lorsqu’ils se trouvaient ensemble rue du Tivoli. Il a essayé d’y trouver refuge mais a constaté que la porte avait été endommagée. Sans doute par Smail Farisi, qui a sous-loué le logement aux terroristes et a essayé de remplacer la serrure de son appartement, ont interprété les enquêteurs. A cette date, la police n’avait en effet pas connaissance de cette planque.

Les enquêteurs ont toutefois émis des réserves quant aux nuits passées dans un parc étant donné les températures froides la nuit, les précipitations quotidiennes à cette période et l’absence de matériel de camping dans le chef de l’accusé. Pour eux, Mohamed Abrini pourrait être resté plus longtemps chez Hervé Bayingana Muhirwa, jusqu’au jour où il passe par l’avenue des Casernes. Ce n’est qu’ensuite qu’il aurait atterri chez la femme qui l’a hébergé jusqu’à la veille de son arrestation le 8 avril.

Les enquêteurs pensent par ailleurs que Mohamed Abrini a rencontré son ex-compagne le soir du 31 mars. Cette dernière a raconté avoir été contactée par un individu qui lui a donné rendez-vous à Anderlecht. Arrivée près du lieu, Abrini est entré dans la voiture de son amie. Elle aurait tenté de le convaincre de se rendre à la police, sans succès. “Il était très pensif et peu bavard“, aurait-elle déclaré. “Pourquoi n’est-il pas retourné à la rue Max Roos (le 22 mars, NDLR) ?“, a demandé un juré. L’existence de cette planque a très rapidement été connue grâce aux déclarations du chauffeur de taxi, ont répondu les enquêteurs, concédant ne pas avoir interrogé l’accusé sur cette question.


17h07 – Osama Krayem ne répondra pas aux questions lors de son interrogatoire

Osama Krayem, l’homme qui a renoncé à se faire exploser dans le métro à Bruxelles en compagnie de Khalid El Bakraoui le 22 mars 2016, ne répondra pas aux questions lors de son interrogatoire, a prévenu mercredi son avocate Me Gisèle Stuyck. Son point de vue restera identique, peu importe la décision de justice qui sera prise quant aux fouilles à nu auxquelles sont soumises les accusés détenus avant leur transfert de la prison de Haren au Justitia, où a lieu le procès. Osama Krayem ne fait d’ailleurs pas partie des détenus ayant assigné l’Etat belge par rapport à ces fouilles.

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Peu importe ce qui sera décidé, Osama Krayem gardera donc le silence. “Cela n’a rien à voir avec la question des transferts“, a précisé Me Stuyck. L’avocate donnera un mot d’explication avant que ne débute l’interrogatoire des accusés, a-t-elle annoncé.  On ignore encore si Salah Abdeslam et Mohamed Abrini assisteront et participeront à cette partie du procès. “Tout dépendra du référé et de l’attitude de l’Etat belge“, ont dit en chœur leurs deux avocates, Me Laura Pinilla et Me Delphine Paci, insistant sur le respect des droits de la défense. “Cette session d’assises est donc soumise à une affaire extérieure…“, a soupiré la présidente Laurence Massart dans la foulée.

L’avocat de l’accusé Smail Farisi, Me Sébastien Courtoy, a profité de cet intermède pour demander à la présidente si elle comptait lire les déclarations des accusés détenus qui seraient absents ou resteraient muets lors de l’interrogatoire. “Je peux les lire, moi. J’ai l’impression d’être au chômage technique depuis trois mois!“, s’est-il proposé.  Laurence Massart lui a toutefois répondu que cette tâche, si elle s’avérait nécessaire, reviendrait à un témoin (un enquêteur ou un juge d’instruction) ou à la cour.


17h43 – Mohamed Abrini intercepté alors qu’il rencontre son cousin à Anderlecht

C’est un portraitiste de la police fédérale qui informera la DR3 (unité anti-terroriste) que plusieurs caractéristiques de l’homme au chapeau correspondent à celles de Mohamed Abrini. A ce moment-là, les enquêteurs savent que l’accusé est impliqué dans les attentats de Paris. Il a notamment été reconnu sur des images vidéo aux côtés de Salah Abdeslam dans une station essence de Ressons, en France, alors qu’ils se rendent dans la capitale française deux jours avant les attaques parisiennes.

Commence alors une traque. L’appartement d’Hervé Bayingana Muhirwa de la rue du Tivoli à Bruxelles est placé sous observation policière. Une note de la Sûreté de l’Etat indique en effet qu’un profil Facebook utilisé par l’accusé Osama Krayem a été utilisé depuis une adresse IP située à cette adresse pour contacter le frère de ce dernier en Suède.

Le 7 avril en soirée, un homme est aperçu à trois reprises devant l’immeuble mais personne ne lui ouvre la porte. Il sera identifié plus tard comme étant Mohamed Abrini.

Parallèlement, les enquêteurs s’aperçoivent qu’un cousin de Mohamed Abrini habite non loin de cet endroit, à Molenbeek-Saint-Jean. Ils placent ce lieu sous observation également.
Le 8 avril à 15h44, ce cousin descend de sa voiture à Anderlecht et se promène en direction d’un square. A 15h55, une personne est remarquée dans un petit parc sur ce square. Le cousin remet quelque chose à cette personne, qui porte les mêmes vêtements que l’individu photographié la veille dans la rue de Tivoli, et est finalement reconnue comme étant Mohamed Abrini.

“L’homme au chapeau” est finalement intercepté à 16h01 par la police fédérale.

Durant sa première audition, il déclarera être “rentré dans un tunnel” dont il n’est pas près de sortir, ont relaté les enquêteurs. Il avoue finalement le 9 avril avoir été le 3e homme, celui au chapeau, de l’aéroport de Zaventem.

Rédaction avec Belga – Dessin : Belga/Jonathan De Cesare