Les Fablabs, une communauté en quête de solutions pour les soignants
Cela fait jours, des semaines, que le personnel soignant à l’hôpital ou dans les maisons de repos appellent à l’aide et manque de matériel. Masques FFP2, surblouses, visières de protections…tout est le bienvenu mais les commandes n’arrivent qu’au compte-goutte. Alors pour aider, les fablabs et leur communauté de “makers” ont mis leurs neurones en action pour proposer des solutions rapides.
D’habitude, on les prend un peu pour des Géo Trouvetout, des gars qui bricolent dans leur garage en espérant réaliser l’invention qui changera leur vie et la nôtre. Créatifs, astucieux, adeptes du travail en réseau, les producteurs qui travaillent dans les fablabs, ces lieux où sont mis à leur disposition imprimantes 3D, laser et autres machines permettant l’innovation, ont l’habitude de réagir rapidement et sont orientés solution.
Alors, quand plusieurs fablabs décident de répondre à l’appel des hôpitaux qui demandent des visières de protection pour parer au plus pressé, la réaction est immédiate. “Les makers qui utilisent les fablabs se sont retrouvés rapidement sans commande, explique Perrine Collin, responsable des fablabs de Citydev. Chez nous, nous avons trois fablabs mais d’autres se sont associés et ils ont réfléchi sur la possibilité de fabriquer rapidement une visière de protection. Nous l’appelons aujourd’hui visière Maïté, du nom de sa créatrice.”
Cette visière a ainsi été mise au point par les équipes des Cityfab 1 et 3, de Microfactory, Openfab, Fablab Imal et Fablab ‘Ke. Ensemble, ils ont planché sur un modèle réalisable facilement. La visière avec un diadème a été écartée car les imprimantes 3D ne sont pas assez rapides. C’est donc une feuille de PET, celle q’on utilise pour plastifier un document par exemple, qui a été choisie. Grâce à un laser, une forme précise peut être découpée et ensuite, il n’y a plus qu’à l’assembler.
Ce produit mis au point très rapidement a été validé le lendemain par les hôpitaux puis, le surlendemain, la production a pu être lancée. Dans un premier temps, 3.000 visières ont pu être fabriquées.
Afin d’être plus efficace encore, des presses à couteaux ont été mises au point et à présent, ce sont entre 1.000 et 1.500 visières qui sont produites quotidiennement. Elles sont ensuite distribuées aux hôpitaux via le réseau SantéA ou le réseau régional Iriscare. “Il a été décidé de les vendre au prix coûtant soit 46 cents la visière. Pour le moment, pour acheter la matière première, nous avons pris sur le budget annuel de fonctionnement du fablab mais nous espérons que la Région complète en cours d’année.”
Des bénévoles pour faire fonctionner le réseau
Ces visières ne se font évidemment pas toutes seules. Pour cela, Nejla Torkani, conseillère en prévention chez Citydev, gère une équipe de bénévoles. “De plus en plus de personnes souhaitent nous aider. Pour les visières, nous avons deux opérateurs rémunérés et une quinzaine de bénévoles. Et puis,nous mettons sur pied une équipe pour la création de surblouses.”
Vincent Hofmans fait partie des ces bénévoles. “Avec ma compagne, on s’est senti rapidement inutile. A part aider les gens de notre quartier, on ne pouvait rien faire. Alors on a décidé d’aller au fablab comme manutentionnaire. Cela nous semblait important d’aider ceux qui sont sur le front.”
Des surblouses en fabrication
Une fois lancés, difficile d’arrêter les makers, surtout que les demandes des hôpitaux et autres institutions de soins sont toujours aussi nombreuses. A présent, ce sont les surblouses qui manquent. ” Certains hôpitaux utilisent des sacs poubelle, raconte Perrine Collin. Nous avons donc discuté avec les professionnels pour savoir quels étaient les critères importants. On nous a demandé un tissu imperméable et qui puisse être lavé à très haute température. Le critère du confort était facultatif. J’ai fini par trouver un tissu qui correspond. Il a été testé. On a fait un prototype grâce à un patron fait sur une nappe en papier par le CHU Tivoli qui fonctionne et maintenant nous envoyons les kits à des couturières bénévoles. Nous en avons 450 à Bruxelles et en Wallonie. Les blouses sont de toutes les couleurs mais cela n’est pas grave. Nous pouvons ainsi en donner aux maisons de repos et aussi au personnel du Samusocial.”
Pour ces surblouses, en plus des bénévoles, des ateliers de confection ont aussi repris le travail ce qui permet d’accélérer la cadence. Pour le moment, 700 surblouses ont été produites mais la demande est plutôt de 7.000. “Ici aussi, nous vendons prix coûtant pour celles cousues par nos bénévoles. Un mètre coûté entre 5 et 10 euros et il faut 1m40 de tissu pour une blouse. Par contre, si l’institution choisit l’atelier de production alors nous ajoutons un coût de fabrication compris entre 7 et 10 euros. Cela représente un coût surtout que nous ne pouvons pas garantir un nombre de lavage mais nous n’en sommes plus là.”
Des prototypes de masques FFP2
Faire au plus vite sans pour autant livrer du matériel qui ne protège pas. Tel est le défi des makers. “Nous validons tout de même nos prototypes avec des professionnels de la santé. Actuellement, nous travaillons sur des masques FFP2. Un moule en bois va être créé et ensuite, on fera couler du plastique dessus. C’est plus rapide que l’imprimante 3D. Demain, nous le faisons tester par la cellule fédérale qui s’est mise en place. Et nous allons aussi travailler sur l’adaptation de masques de plongée, les petits coton tige qui servent pour les frottis nasaux.”
Le fablab de l’UB et celui de la rue Gray à Ixelles se sont aussi associés à l’opération afin de répondre à la demande.
“J’espère que notre manière de penser la production et sa localisation changera ensuite, que nous tirerons des conclusions de cette expérience, conclut Perrine Collin. Nous avons une réelle expertise et nous pouvons trouver des modèles de production ici. Peut-être que nous serons plus cher mais au moins nous aurons une solution. C’est la même chose avec les prototypes que nous mettons sur pied et qui sont ensuite en opensource. Si la matière première pour la meilleure solution à l’instant T venait à manquer, nous avons d’autres options.”
Vanessa Lhuillier – Photo: Citydev