10 heures sans liberté après avoir manifesté à Saint-Gilles
Samedi dernier avait lieu un rassemblement féministe sur la place Marie-Janson. L’évènement s’intitulait “reclaim the night” et avait pour objectif de lutter contre les violences faites aux femmes et membres de la communauté LGBTQA+. Nous avons reçu un témoignage d’une manifestante, présente au rassemblement et qui nous a décrit les événements ainsi que son arrestation. Elle a préféré garder l’anonymat. Nous l’appellerons Sandra.
Sandra a tout d’abord été surprise par la présence policière qui était, selon elle, démesurée. Une dizaine de fourgons et une autopompe était présent sur place pour une centaine de manifestants. Toujours selon Sandra, les personnes sur place étaient pacifistes, scandaient des slogans féministes et portaient tous leurs masques.
Sandra raconte le début des tensions entre manifestant et force de l’ordre. « Une amie a été demander aux policiers la raison de ce dispositif, un policier a répondu que c’était l’ordre qu’ils avaient reçu parce que le rassemblement n’était pas autorisé. Les manifestant.e.s ont continué à scander des slogans féministes, mais aussi des slogans de type « police partout, justice nulle part » afin de témoigner de leur effarement face à un tel dispositif policier. Je n’ai entendu aucune insulte. Il n’y a eu aucun geste de violence”.
Du côté de la zone de police Bruxelles-Midi, on nous explique que le dispositif était jugé nécessaire. Kathleen Calie, commissaire de police, était présente sur place et rappelle que la manifestation n’était pas autorisée : « Le rassemblement était toléré par le bourgmestre, mais pas autorisé. Aucun organisateur n’est rentré en contact avec nous pour nous signaler le nombre potentiel de participants, sans idée du nombre de personne, difficile d’estimer le nombre de policier nécessaire » explique la commissaire.
Impossible de quitter le rassemblement
Autre élément qui a interpellé Sandra : impossible de quitter le lieu du rassemblement : « La police a encerclé la manifestation à 20h15, soit bien avant le début du couvre-feu. En outre, et c’est à mon sens le plus important, il n’a jamais été demandé aux manifestant.e.s de se disperser. Au contraire, de nombreux manifestant.e.s ont été interdit.e.s de quitter le rassemblement alors qu’elles avaient la volonté d’en sortir pour rentrer chez elles. À aucun moment, les manifestant.e.s n’ont été sommé.e.s de partir ni prévenu.e.s qu’un refus entraînerait une arrestation administrative. Vers 21h15 nous avons voulu quitter le rassemblement, je suis donc retournée auprès des policiers qui formaient la nasse pour leur demander de pouvoir quitter le rassemblement avec mes amis. J’ai dit que nous avions froid et que nous souhaitions rentrer chez nous. Ils ont refusé”.
Pour Sandra, ce procédé d’encerclement par la police suscite des inquiétudes : “Tout d’abord pour une raison liée aux mesures sanitaires en vigueur. Il était impossible de maintenir une distance acceptable entre les manifestant.e.s. Il est incompréhensible d’avoir été encerclé.e.s, regroupé.e.s et resserré.e.s alors que l’argument principal invoqué pour justifier l’intervention policière est que le rassemblement était contraire aux mesures covid. C’est encore plus aberrant que nous n’ayons pas pu nous disperser lorsque nous l’avons demandé. Ce procédé soulève des problèmes également quant à l’absence de volonté de concertation de la part des autorités policières et communales. Les policiers nous ont encerclé.e.s au moyen de l’équipement antiémeute classique : matraque, boucliers, casques et combinaisons renforcées. Ce faisant, ils adoptaient d’emblée une attitude hostile, tout en ne laissant aucune place au dialogue afin de trouver une issue satisfaisante, qui aurait eu pour bénéfice d’éviter les arrestations administratives d’une part, tout en laissant des citoyen.ne.s exprimer leurs opinions dans un espace public d’autre part“.
Du côté de la police, on conteste cette version. Selon la commissaire, les policiers ont bien tenté de disperser le rassemblement avant d’encercler les 20 personnes restantes.
10 heures de privation de liberté
Après avoir tenté de partir de la manifestation, sans succès, Sandra finira par être arrêtée, tout comme une vingtaine de personnes. “Deux policiers m’ont attrapée, chacun par un bras. Ils m’ont attaché les mains dans le dos avec des colsons. J’ai demandé les raisons de mon arrestation, les policiers qui me tenaient n’ont pas voulu me répondre. J’ai insisté et une policière m’a répondu que nous étions arrêtées, car le rassemblement était interdit. J’ai donc répondu que c’était la raison de leur présence, mais que je ne comprenais pas qu’il n’y ait pas de moyens moins coercitifs qui aient été employés pour mettre fin au rassemblement. J’ai précisé j’avais été arrêtée alors que je demandais à rentrer chez moi. Ils ne m’ont plus répondu”
Entre le moment de l’arrestation et sa remise en liberté, 10 heures se sont déroulées : “Suite à notre arrestation, nous sommes resté.e.s dans ce bus une petite heure, toujours les poignets attachés avec des colsons dans le dos. Nous avons été emmené.e.s au commissariat Démosthène d’Anderlecht. Nous avons été placées en cellule, deux cellules de 9 personnes. Il devait être 22h30 au moment de notre arrivée au commissariat. À notre arrivée nous avons été fouillé.e.s et une photo de chacun.e de nous a été prise. Un numéro a été écrit sur notre poignet, j’ai voulu refuser, pour des raisons symboliques évidentes, d’avoir un numéro écrit au stift sur mon poignet, mais ça m’a été imposé. Nous avons dû enlever nos manteaux et nos chaussures“. Sandra continue de décrire sa nuit au commissariat, qu’elle n’est pas prête d’oublier. “Nous sommes restées en cellule toute la nuit, dans le froid et l’odeur d’urine. Nous avons reçu à manger et la plupart du temps de l’eau lorsque nous en demandions. Vers 6h la police a commencé à nous relâcher. J’en suis sortie à 7h, soit après 10h de privation de liberté“.
Du côté de la police, on confirme que les règles sanitaires étaient respectées au début. Pas plus de cent personnes, sans mouvement, avec masque et distanciations sociale. Mais pour la commissaire de la zone Bruxelles-Midi, ce respect des règles a disparu au moment où il ne restait plus qu’une vingtaine de personnes : “Nous avons procédé à 22 arrestations administratives, pour non-respect des distanciations sociale et trouble de l’ordre public” précise Kathleen Calie.
L’ironie du sort
Sandra rappelle en guise de conclusion que le rassemblement avait notamment pour but de lutter contre les violences faites aux femmes dans l’espace public. Après cet incident, elle se sent encore plus en insécurité qu’auparavant. Un sentiment d’insécurité que regrette la commissaire, sans le comprendre.
Pour le moment aucun incident n’a été signalé suite à ces arrestations administratives, mais selon Sandra, une plainte collective sera déposé dans les prochains jours notamment, pour détention administrative arbitraire.
J.M – Photo : BX1