Coronavirus : les failles du système de dépistage dans la capitale
Des centres obligés de refuser des patients, certains délais d’attente de plus de 72h pour les résultats, mais aussi des soupçons de faux pour des tests pré-voyage: BX1 revient sur les carences de l’actuel dispositif de testing dans la capitale.
Vous craignez d’être contaminé au Covid-19 ou vous souhaitez vous tranquilliser après un retour de voyage? Sur le papier, la réponse est facile: faites un test PCR. Sur un site Internet, la Région cartographie d’ailleurs les centres de dépistage situés sur le territoire bruxellois. Au final, ces hôpitaux, centres médicaux et laboratoires privés sont au nombre d’une vingtaine. Certains sites sont uniquement accessibles sur rendez-vous, d’autres permettent de venir sans prévenir. Pour les personnes symptomatiques, qui ont été récemment en contact avec un contaminé ou qui reviennent de vacances d’un pays en zone orange ou rouge, ledit test s’avère même gratuit.
Voilà pour la théorie, en pratique, le tableau s’avère moins reluisant. Malgré une récente hausse de la capacité de tests (désormais 3.500 par jour), le système de dépistage du Covid-19 reste perfectible dans la capitale. Voilà ce qui ressort d’échanges avec des médecins généralistes et plusieurs centres de test. Certains Bruxellois ne parviennent pas à se faire tester dans un délai raisonnable. Président de la Fédération des Associations des Médecins Généralistes de Bruxelles (FAMGB), Michel De Volder résume: “Nous constatons comme médecins généralistes qu’il manque encore des possibilités de se faire tester dans un délai rapide et cohérent avec les besoins scientifiques”.
Celui-ci estime le délai raisonnable à 48h. “Il y a une série de personnes asymptomatiques qui reviennent de zones rouges et oranges. Les premières sont obligées de se tester, tandis que c’est recommandé pour les secondes. Si on ne fait pas ça dans les 48h, on continue à propager l’infection si on est contaminé”. Certains retours de patients font état de quatre à cinq jours de délai. “Il y a une semaine, un patient m’a même parlé de sept jours”. Président du Groupement Belge des Omnipraticiens (GBO), Paul De Munck enfonce le clou: “Il est absolument anormal et inconcevable que des gens aient parfois des rendez-vous quatre jours plus tard”.
“On donne 211 tickets par jour, mais on reçoit davantage de demandes”
La question est sensible et tous les centres de dépistage ne veulent répondre aux questions sur le sujet. “L’hôpital Erasme ne souhaite pas communiquer sur ce sujet”, commente ainsi le service presse de l’hôpital anderlechtois. Tel n’est pas le cas du CHU Brugmann, qui reconnaît faire face à une forte demande. “Nous avons élargi, depuis ce lundi, notre capacité d’accueil à 211 tests PCR par jour et par site en semaine. En outre, le centre de testing fédéral du site Brien est désormais ouvert aussi le week-end”, explique son porte-parole Steve Vanhassel.
Cette hausse de la capacité de testing ne permet toutefois pas de répondre à la demande. Un certain nombre de Bruxellois quittent donc chaque jour le CHU Brugmann sans avoir obtenu un test. Pour un test après des vacances ou sur recommandation d’un médecin, l’hôpital fonctionne avec le système du premier arrivé premier servi. “On distribue chaque jour 211 tickets qui donne droit à un test. On reçoit davantage de demandes, mais on ne sait pas y répondre. Après, cette situation se retrouve ailleurs”.
Éviter d’être contaminé le week-end
Il vaut mieux par ailleurs éviter de vouloir faire un test de dépistage le samedi ou le dimanche. De nombreux centres sont tout simplement fermés le week-end. Déjà insuffisantes durant la semaine, les possibilités d’obtenir un test se réduisent ainsi davantage. Un document de deux pages de la FAMGB distribué dans certains hôpitaux recense à destination des patients une série de sites de dépistage. Sur les 24 centres proposés, seuls six offrent la possibilité d’un test le week-end.
Des raisons logistiques, financières et de ressources humaines
Les raisons de l’actuelle incapacité à répondre aux besoins sont multifactorielles, estime Michel De Volder. D’abord logistiques, car il faudrait encore augmenter la capacité des laboratoires et des prélèvements. Ensuite de ressources humaines. “Il faut plus de prélèveurs. On est aussi coincé pour l’instant par ça. Aujourd’hui, il faut que ce soit des médecins, des infirmiers, des assistants en médecine et en infirmerie, ou des laborantins. Or, on était déjà en pénurie de médecins et d’infirmiers avant la crise”.
Celui-ci plaide pour étendre la possibilité de faire les prélèvements à d’autres catégories de professionnels. “Par exemple les aides-soignants et les kinés. On pourrait les former et même les superviser si nécessaire”. Il estime enfin que le manque de moyens budgétaires peut aussi jouer un rôle dans les lenteurs actuelles: “Il faudrait pouvoir encore augmenter les fonds”.
La galère des tests pré-voyage
La situation est également loin d’être optimale concernant les tests à effectuer avant de partir en vacances. Certains pays conditionnent aujourd’hui l’entrée sur leur territoire à la réalisation d’un test en Belgique deux à trois jours avant le départ. Ces tests ne sont pas généralement réalisés par les mêmes centres, ou du moins dans les mêmes conditions. Le CHU Brugman les propose certes, mais uniquement sur rendez-vous. Pour les personnes qui veulent partir à la dernière minute, par exemple pour des raisons professionnelles, la situation peut vite s’avérer problématique.
Ces tests pré-voyage sont généralement assurés par des centres privés avec des montants non remboursés par l’Inami. La loi de l’offre et la demande peut faire grimper démesurément les prix. La fourchette semble osciller entre 50 et 100 euros. “Je pense même avoir entendu parler de 135 euros pour un test rapide”, insiste Michel De Volder. “La commercialisation de la crise existe depuis longtemps. On a vu à un moment donné le prix des masques et des gels alcooliques flamber. Là, ce sont les tests”.
Soupçons de magouille à Etterbeek
Pour les Bruxellois en partance actuellement, la Grèce s’avère une des destinations phares. La plupart des demandes que reçoit le centre de dépistage pré-voyage du CHU Brugman vont dans ce sens. La Grèce réclame la réalisation d’un test et son résultat dans les 72h précédant l’arrivée. Impossible pour de nombreux centres, dont le CHU Brugman. “La Grèce est très pointilleuse sur les heures et le délai. Or, nous livre les résultats minimum après 72h. Donc ce n’est pas possible”. Les appelants sont donc redirigés vers deux laboratoires privés: LIMS (Uccle) et City-Labs (Woluwe-Saint-Lambert).
D’après les informations de BX1, une petite structure médicale à Etterbeek ne semble pas s’embarrasser de tant de scrupules. Un vacancier actuellement en Grèce nous a indiqué avoir bénéficié d’un attestation postdatée de cinq jours. “Je les ai contactés fin août, parce que je partais le 10 septembre. Ils m’ont proposé un test le 2. Je leur ai dit que ce serait trop tôt au regard de ma date de départ, mais ils m’ont dit qu’ils s’arrangeraient avec la date”, explique le vacancier, qui souhaite conserver l’anonymat. Selon le document, dont BX1 a pris connaissance, le test a en effet eu lieu le 7 septembre.
Si les faits étaient avérés, il s’agit ni plus ni moins d’un faux et usage de faux. Contactée, la généraliste qui a signé le document relativise l’éventuelle fausse date. “On met parfois peut-être les dates plus tard pour que la personne n’ait pas de problèmes au niveau du voyage. Je ne suis pas responsable de la distribution des résultats. On donne mon cachet en dessous. Mais s’ils ont fait ça, c’est pour la facilité du patient”. De son côté, le directeur de la structure assure tomber des nues. “C‘est qu’il y a une erreur quelque part. Je ne suis pas au courant”.
Une capacité en hausse constante
Karen Van Rengen travaille en tant que project manager pour la Commission communautaire commune (Cocom). Elle est chargée par les autorités de développer la capacité de tests dans la capitale. Interrogée sur les éventuelles carences du système, elle rappelle que le nombre de tests possibles est en hausse constante. “On en est actuellement à 3.500 par jour. Il est vrai qu’il y a eu des pics de demandes, surtout pour les personnes qui reviennent de vacances. Et il y aura probablement aussi plus de demandes vers l’hiver. On va continuer à augmenter la capacité et arriver à 4000-5000 tests, puis encore davantage”.
Celle-ci indique en tout cas ne pas posséder d’estimations chiffrées des besoins réels dans la capitale. “Je n’ai pas de chiffres en ce sens. Cela dépend aussi de l’évolution du virus et de comment il se propage. Est-ce que cela répond à la demande ? On sait qu’en ce moment, il y a une demande accrue, mais on ne sait pas prévoir cela”.
J. Th. – Photo: Capture BX1